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Musique et images

Un programme étonnant, de Schubert à la musique de film en passant par Schoenberg, retrouvait à la tête de l’Orchestre National du Capitole le chef catalan Josep Pons. Les liens tissés depuis plusieurs années par la formation toulousaine avec celui qui est devenu directeur du prestigieux théâtre Liceu de Barcelone aboutissent ainsi à de belles rencontres musicales.
La première partie de cette soirée du 17 janvier place en miroir deux œuvres aux saveurs bien diverses. L’expression mélodique de Nino Rota largement exploitée dans ses musiques de film trouve dans les inventions atonales en perpétuelle modulation d’Arnold Schoenberg son exact opposé.

Josep Pons dirigeant les quinze musiciens de la Kammersymphonie n° 1 de Schoenberg

– Photo Classictoulouse –

Avec les Danses du « Guépard », admirablement en situation dans la fameuse scène de bal du film mythique de Luchino Visconti, Nino Rota signe un bouquet de pièces largement inspirées de Giuseppe Verdi. Au-delà des mélodies d’une simplicité touchante, les rythmes de danse épousent les grands modèles fin de siècle largement exploités par les musiques des grandes dynasties viennoises, celle des Strauss en tête. On note toutefois de subtiles idées rythmiques comme dans le Quadriglia ou dans le Valzer del Commiato. Le petit effectif orchestral est mené avec précision et sensibilité par Josep Pons. L’évocation des images de ce légendaire « Guépard » ne se départit jamais d’une certaine élégance désuète et intègre une touche d’humour décalé, comme un clin d’œil à une époque révolue.

Le contraste avec l’une des premières manifestations de nouvelle musique signée Schoenberg n’est pas mince. Avec sa Kammersymphonie n° 1 (Symphonie de chambre), le fondateur de la seconde Ecole de Vienne franchit le pas qui va le conduire de la tonalité vers l’atonalisme. Comme un lien entre le romantisme et le sérialisme pur et dur, cette étrange synthèse entre musique orchestrale et musique de chambre, en quatre mouvements enchaînés, colle à la structure traditionnelle de la symphonie, tout en la transcendant. Jeu de timbres et de couleurs, elle convoque quinze musiciens solistes dont les interventions prolongent les derniers feux des postromantiques comme le grand Gustav Mahler et même (dans l’utilisation d’un chromatisme exacerbé) comme le Wagner de Tristan. En fait, l’œuvre s’écoute comme une extrapolation hyperromantique dans laquelle les tensions harmoniques et rythmiques sont poussées à l’extrême. Même si la première écoute ne le permet pas toujours, on peut y déceler une structuration habile des thèmes dont le retour périodique agit sur la mémoire comme une madeleine de Proust. L’ensemble de solistes réunis par Josep Pons s’acquitte de cette tâche délicate avec panache. La précision indispensable, l’équilibre des registres, la vigueur rythmique, l’élan général confèrent à cette pièce emblématique son urgence absolue. Il est troublant de constater qu’une telle œuvre, plus d’un siècle après sa création, peut encore déconcerter certaines oreilles par son aspect révolutionnaire. Merci à Josep Pons d’avoir osé cette confrontation salutaire.

Josep Pons entouré des bois “promus” solistes dans la Symphonie n° 5 de Schubert.

De gauche à droite : François Laurent (flûte), Olivier Stankiewicz et Serge Krichewsky (hautbois), Lionel Belhacène et Mylène Poulard (bassons) – Photo Classictoulouse –

Avec le Schubert de la cinquième symphonie, le consensus est général ! Cette partition, d’un charme tout mozartien, permet au jeune compositeur de dix-neuf ans d’entrer vraiment dans la cour des grands. Le chef catalan va au bout de la logique instrumentale de l’œuvre. Le rôle primordial des pupitres de bois lui confère toutes les caractéristiques d’une symphonie concertante. Josep Pons a donc l’idée formidable de regrouper autour de lui, comme des solistes, la flûte (François Laurent), les deux hautbois (Olivier Stankiewicz et Serge Krichewsky) et les deux bassons (Lionel Belhacène et Mylène Poulard). La lisibilité en devient frappante et le jeu de ces musiciens souligné comme le suggère la partition. Dès les premiers accents de l’Allegro initial, le chef trouve le ton fidèle, l’humeur tendre, la grâce d’une musique profondément touchante. L’émotion naît à chaque mesure grâce à une agogique savamment dosée, faite d’élan juvénile et de retenue. La poésie subtile de l’Andante, la jovialité terrienne, très « Ländler », du Menuetto conduisent avec un naturel chaleureux à la joie souriante de l’Allegro vivace final. Là encore l’orchestre resplendit de ses lumineuses couleurs.

Notons que Josep Pons retrouvera la phalange toulousaine à la Halle aux Grains le 22 juin, pour une version de concert de l’opéra La Vida breve de Manuel de Falla. Un rendez-vous à retenir !

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