Invités de l’Espace Croix Baragnon dans le cadre de ses mardis musicaux « hors les murs », la mezzo-soprano Karine Deshayes et le pianiste Philippe Cassard présentaient, le 16 avril dernier à l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines, un programme de mélodies françaises. Cette soirée sur le thème de « L’exotisme en musique » convoquait la fine fleur des compositeurs attirés par la poésie du rêve, la soif du dépaysement, autant de sources d’inspiration qui firent les beau soirs des salons fin de siècle.
La belle carrière de Karine Deshayes connaît de nos jours une ascension impressionnante. Ses récentes incarnations de Carmen, de l’opéra éponyme, et de Rosine, du Barbier de Séville, ont été largement saluées par la presse et le public. A côté de ses grands rôles lyriques, la belle mezzo-soprano se plaît à célébrer ce très riche répertoire de mélodies auquel elle apporte une belle santé vocale et une conviction poétique fortement ressentie. Pour accompagner (au sens noble du terme) la cantatrice, le pianiste Philippe Cassard est la personnalité idéale, conscient qu’il est de l’enjeu de ce partenariat qui lie la voix et l’instrument de manière indissoluble.
Philippe Cassard présentant le concert avec Karine Deshayes – Photo Classictoulouse –
C’est d’ailleurs par une présentation brève, mais déterminante, que ce dernier ouvre la soirée. Qui mieux que l’animateur des « Notes du traducteur » sait trouver les mots, les évocations propres à initier, sans pédanterie et de manière ouverte et séduisante, tous les publics aux grandes œuvres du répertoire ?
De Gounod à Roussel, de Delibes à Debussy, le programme de la soirée s’écoute, se vit comme un voyage au long cours. Le concert débute avec les fameux « Adieux de l’hôtesse arabe », dans lesquels Bizet a osé « déposer de la musique » le long des vers de Victor Hugo. La grande voix de la cantatrice dont le registre aigu s’épanouit de manière impressionnante, se love avec finesse dans la nostalgie des mots et des notes. Fantaisie et humour imprègnent le souriant « Boléro » de Charles Gounod, alors que dans « Les Filles de Cadix », de Léo Delibes, Karine Deshayes exploite la virtuosité de ses vocalisations. Après l’étrange et belle évocation « Le Bachelier de Salamanque », du marin-compositeur Albert Roussel, le duo de musiciens aborde l’œuvre majeure de la soirée, ce triptyque magique évoquant l’orient mystérieux, le « Shéhérazade » de Maurice Ravel. Même dans sa version avec piano, certes moins richement colorée que la version originale pour orchestre et voix, ces trois mélodies font rêver. Philippe Cassard y ménage de subtiles colorations qui soutiennent la voix avec délices. Cette voix, justement, se déploie ici avec une dynamique et un sens de la prosodie (inspirée directement, comme le rappelle Philippe Cassard, de celle que venait d’inventer Debussy dans son Pelléas et Mélisande) admirablement maîtrisés. De l’éclat chaleureux de « Asie », à la retenue sensible de « L’Indifférent » un climat d’une infinie poésie règne sur cet épisode.
Karine Deshayes et Philippe Cassard – Photo Classictoulouse –
Deux mélodies de celui qui connut un étrange destin de compositeur insatisfait, Henri Duparc, « L’invitation au voyage » et « Phydilé », extase et évocation nostalgique, précède un autre sommet de la mélodie française. Avec ses « Trois Chansons de Bilitis » composées sur les fameux poèmes de Pierre Louÿs (faussement attribués à une poétesse de l’antiquité grecque), Claude Debussy écrit une musique d’une brûlante sensualité.
Pour conclure la soirée, Karine Deshayes et Philippe Cassard offrent un cadeau lyrique particulier et inattendu. La Séguedille de Carmen, et le grand air de Rosine, du Barbier de Séville, deux nouvelles références à l’Espagne, viennent opportunément rappeler que la cantatrice se produit autant, sinon plus, sur les scènes d’opéra que sur les estrades de concert. Deux incarnations vivantes et vibrantes qui lui valent une ovation du public. Une Canzonetta particulièrement virtuose de Gioacchino Rossini conclut la soirée sur un bis réclamé à cor et à cri !