L’image de l’épouse et de la muse animait le programme du concert de la saison des Clefs de Saint-Pierre du 16 mars dernier. Personnage touchant et fort, Clara Wieck fut en effet à la fois l’épouse aimée et aimante de Robert Schumann auquel elle donna huit enfants, et l’inspiratrice, l’amie fidèle de Johannes Brahms qu’elle accueillit et aida alors qu’il n’était qu’un tout jeune homme.
Clara fut aussi une pianiste virtuose et une compositrice à laquelle l’époque ne permit point de s’épanouir vraiment. Nous étions bien loin alors de la notion de parité ! Réunir des œuvres de ces trois créateurs revenait à rassembler une famille de grands musiciens. Pour cela, trois membres éminents de l’Orchestre du Capitole, Geneviève Laurenceau, violon, Bruno Dubarry, alto et Sarah Iancu, violoncelle, s’associaient au jeune pianiste David Bismuth dont la carrière est en pleine ascension.
De gauche à droite : Genevière Laurenceau, violon, David Bismuth, piano, Bruno Dubarry, alto et Sarah Iancu, violoncelle
Ces quatre artistes s’investissent dans cette sublime littérature avec une énergie, une intensité expressive et, cela va sans dire, une perfection virtuose qui fait chaud au cœur. Les équilibres sonores, la cohésion rythmique, la précision des attaques et des phrasés construisent des interprétations admirables en tous points.
Brahms ouvre le concert avec son troisième quatuor en ut mineur pour piano et cordes. Structurée comme son 2ème concerto pour piano, cette partition s’ouvre mystérieusement pour exploser ensuite dans d’impressionnantes convulsions dramatiques. L’alto de Bruno Dubarry y déploie son lyrisme chaleureux. La tendre et touchante effusion du violoncelle de Sarah Iancu dans l’andante (autre similitude avec le second concerto pour piano) précède la passion enflammée du final. Le jeu profond et transparent à la fois de David Bismuth confère à cette exécution haute en couleurs une force de conviction qu’anime tout autant Geneviève Laurenceau, violon de feu, dynamique éblouissante.
La violoniste et le pianiste se retrouvent ensuite pour délivrer la plus humaine des approches des Trois Romances op. 22 dédiées à Joseph Joachim (le grand violoniste ami de Brahms), de Clara Schumann. Très proche de celui de Robert, le style de ces courtes pièces touche par sa grâce directe. La rêverie de l’andante, le jeu léger de l’allegretto se résolvent dans ce très schumannien « Leidenschaftlich schnell » (passionnément rapide), dans lequel les interprètes font affleurer comme une souffrance cachée.
C’est sur le frémissant quatuor pour piano et cordes en mi bémol majeur de Robert Schumann que s’achève la soirée. L’exécution passionnante qui en est donnée s’ouvre sur un paysage qui émerge de la brume pour ensuite en révéler les élans fébriles. Un andante cantabile très « rachmaninovien » offre à Sarah Iancu un solo de violoncelle d’anthologie qui s’enchaîne au tourbillon irrésistible du vivace final. Du Schumann pur jus !
Il faut redire ici le plaisir profond que procurent ces soirées de musique de chambre à la fois intimes et généreuses, le haut niveau de qualité des interprétations offertes qui émanent de musiciens dont le bonheur de jouer constitue à l’évidence la motivation profonde.