Le lundi 30 avril 2012, à 20 h l’association des Clefs de Saint-Pierre présente un concert original et stimulant consacré à une œuvre hors norme, musicale autant que théâtrale, composée par Igor Stravinsky sur un argument de l’écrivain suisse Charles-Ferdinand Ramuz, L’Histoire du Soldat. Ce concert exceptionnel aurait dû clore cette belle saison de musique de chambre. En fait, elle se poursuivra et s’achèvera le 18 juin sur le concert initialement prévu pour le 19 mars et dont les événements tragiques survenus ce jour-là avaient entraîné l’annulation : Portrait avec Mandoline, associant le mandoliniste Julien Martineau et le trio à cordes réunissant Mary Randles, violon, Juliette Gil, alto et Benoît Chapeaux, violoncelle.
En attendant, le spectacle du 30 avril réunira, autour du récitant Hervé Salliot, Edwige Farenc, violon, Elsa Centurelli, clarinette, Estelle Richard, basson, Hugo Blacher, cornet à pistons, Dominique Déhu, trombone, Ulysse Vigreux, contrebasse et Jean-Sébastien Borsarello, percussion. Cette œuvre étonnante, qui associe récit parlé (scandé parfois) et musique, est née d’une collaboration fructueuse entre deux artistes complémentaires : Ramuz et Stravinsky. Créée en 1918 à Lausanne, sous la direction d’Ernest Ansermet, partagé alors entre la direction des Ballets Russes de Serge de Diaghilev et la fondation de l’Orchestre de la Suisse Romande à Genève, cette pièce n’est plus représentée avant 1924, du fait des ravages de la grippe, alors dite espagnole. Stravinsky a déjà composé ses principaux ballets, notamment L’Oiseau de feu, Petrouchka et Le Sacre du printemps et il va s’engager dans sa période dite néoclassique.
Les musiciens des Clefs de Saint-Pierre qui participeront à « L’Histoire du Soldat » de Stravinsky
Le musicologue Marc Vignal note à propos de L’Histoire du Soldat : « En 1918, Stravinsky et Ramuz, qui manquaient d’argent, imaginèrent un spectacle peu coûteux et facile à transporter d’un lieu à un autre […] Le résultat final est une version miniature de la légende de Faust. […] L’orchestre de sept solistes est un parfait squelette, chaque famille étant représentée par ses registres extrêmes (clarinette et basson, cornet et trombone, percussion, violon et contrebasse). Symbolisant l’âme du soldat, le violon est traité comme un crincrin de village. Les différents numéros comprennent aussi bien des marches et des chorals (épicés par des dissonances sublimes) que des danses ″modernes″ (tango, valse ou même ragtime) […] ».
“Qui veut dîner avec le diable doit se munir d’une grande cuillère”
Les premiers mots de cette aventure faustienne aux allures de conte pour enfants donnent le ton décalé de l’association entre musique et texte parlé :
« Entre Denges et Denezy
Un soldat rentre chez lui
Quinze jours de congé il a,
Marche depuis longtemps déjà
A marché, a beaucoup marché,
S’impatiente d’arriver parce qu’il a beaucoup marché ».
L’Histoire du Soldat est la troisième collaboration entre Ramuz et Stravinsky et elle marque une étape décisive dans la carrière du compositeur.
Dans une lettre de Ramuz à Stravinsky, on peut lire : « Aucune discussion artistique ou esthétique, si je me rappelle bien ; mais je revois votre sourire devant le verre plein, le pain qu’on apportait, la chopine fédérale (…) J’ai lié connaissance avec vous dans et par l’espèce de plaisir que je vous voyais prendre aux choses, et les plus ‘humbles’ comme on dit, et en tout cas les plus élémentaires. Je vous regardais dans votre corps sur cette terrasse de la Crochettaz, et vous représentiez déjà pour moi cette chose si rare qu’est un homme au sens plein du mot : un raffiné et en même temps un primitif, capable des combinaisons de l’esprit les plus compliquées et en même temps des réactions les plus spontanées et les plus directes ».
Cette œuvre « raffinée et primitive », si rarement donnée, constitue un vrai cadeau pour les habitués des Clefs de Saint-Pierre.