Les précieux renseignements contenus dans le programme de salle sont sans appel quant à la notoriété de ce ballet puisqu’ils mentionnent que, ce soir, c’est la 800ème représentation de l’ouvrage à l’Opéra de Paris et la 243ème représentation dans cette version. Qui dit mieux ?
Si Mats Ek a présenté sa vision de ce ballet in loco en 2004, c’est bien sûr la version du duo de chorégraphes Jean Coralli et Jules Perrot de 1841, transmise à la postérité par Marius Petipa en 1887 et adaptée par Patrice Bart et Eugène Polyakov en 1991, qui fait les beaux soirs du Palais Garnier depuis un quart de siècle.
Myriam Ould Braham (Giselle)
– Photo Svetlana Loboff –
A noter cependant qu’en 1998, les décors et les costumes sont nouveaux et fidèles à ceux créés par Alexandre Benois en 1924. Ce point d’histoire étant établi, l’essentiel est tout de même la danse. Comment alors ne pas simplement constater combien ce ballet fait partie de l’ADN du Ballet de l’Opéra de Paris. A tous les échelons, les danseurs de notre première scène nationale respirent cette grammaire chorégraphique et, qui plus est, maîtrisent le style inimitable de ce genre. Bien sûr, nous allons en venir aux solistes, mais pourquoi ne pas dire que le Corps de Ballet participe à la même hauteur de responsabilité que leurs glorieux représentants quant au succès d’une pareille soirée ? Amies de Giselle, Vendangeurs, Dames et Seigneurs de la Cour, Wilis, sont un bonheur de chaque moment, autant par leur discipline que leur musicalité. Deux Coryphées, Eléonore Guérineau et Pablo Legasa, se partagent avec assurance le célèbre et difficile Pas de deux des paysans.
C’est à François Alu, Premier Danseur, que revient le rôle épisodique mais si intensément dramatique d’Hilarion. Hannah O’Neill, Première danseuse depuis le début de cette année 2016, impose ici avec une rigueur stylistique exemplaire et une froideur de circonstance, le terrible personnage de Myrtha. Ce sont deux Etoiles qui tiennent les principaux rôles ce soir.
Myriam Ould Braham fait évoluer psychologiquement Giselle avec beaucoup de justesse. Sa danse est libre, ses bras sont merveilleux, sa virtuosité technique est sans faille. Mathias Heymann (Albrecht) lui donne une réplique amoureuse d’une grande intensité. Son masque de la seconde partie transmet une immense émotion à la salle. Ses ultimes variations, d’une sûreté du plus noble métal, font exploser le public en une longue acclamation. Il faut dire que la série d’entrechats est alors empreinte d’une détresse qui fait ressembler ce moment à un véritable suicide.
Mathias Heymann (Albrecht) – Photo Svetlana Loboff –
Et puis il y a ce spécialiste incontestable du ballet qu’est le chef d’orchestre Koen Kessels. Ce soir il dirige non pas l’Orchestre « maison » mais l’Orchestre des lauréats du conservatoire, une idée aussi intelligente que généreuse d’ailleurs. Attentif autant à ses jeunes musiciens qu’au plateau, il va nous donner une lecture de la partition d’Adolphe Adam d’une profonde émotion, émotion autant des premières amours, qu’émotion de la trahison et du renoncement. Clairement, le drame se joue autant dans la fosse que sur le plateau. Ce qui n’est pas peu dire en pareil lieu et ce qui explique, in fine, le triomphe de cette soirée qui s’est clôturée par vingt minutes d’ovations. Largement méritées !
Robert Pénavayre
Article mis en ligne le 21 juin 2016