Il est impossible d’aborder une chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker en toute sérénité. Pourquoi ? Parce que cette figure incontournable de la danse contemporaine, icône de la scène flamande, nourrie au lait de l’avant-garde newyorkaise des années 80 du siècle dernier, propose un travail dont la compréhension résulte d’une sévère immersion dans son univers conceptuel. Il faut lire les longs entretiens contenus dans le programme de salle et, a posteriori, se projeter ensuite le film du spectacle dans sa mémoire pour tenter de comprendre, ce qui s’annonce comme téméraire, du moins essayer de se rapprocher des rivages d’un monde de création aux multiples entrées et ramifications.
Crédit photo : Benoîte Fanton
Créé en 2001 et entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 2011, Rain est une expérience kinesthésique, visuelle et auditive. C’est sur une composition du musicien américain Steve Reich (né en 1936), pionnier du mouvement minimaliste, que la chorégraphe belge va conjuguer son ballet. L’œuvre musicale, intitulée Music for eighteen musicians, créée en 1976, basée sur le rythme et la pulsation, est ici magistralement interprétée (énorme succès public !) par l’Ensemble Ictus et Synergy Vocals, sous la direction de Georges-Elie Octors. La complexe articulation mathématique qui gère ce ballet fait référence à la suite de Fibonacci, sorte de théorème datant du 12ème siècle et dont la résolution donne une approximation précise du nombre d’or… Quand on a dit cela, on a tout dit et rien dit à la fois, car le travail d’ATK est infiniment plus complexe encore quand à l’approche individuelle de chacun des dix danseurs. Où il est question de la place de chaque interprète en tant qu’être humain dans la compagnie. Bref, in fine un ballet dont on ne peut douter ni de l’approfondissement, ni de l’extrême engagement qu’il nécessite de la part des danseurs et encore moins des multiples interrogations qu’il peut provoquer chez le spectateur.
Crédit photo : Benoîte Fanton
Sur le plateau, 7 filles et 3 garçons, un mélange savant de grades allant du quadrille au premier danseur, en tout point remarquables d’énergie mais aussi de technique face parfois à des mouvements issus d’un vocabulaire académique réalisés à la perfection.
Un spectacle pour amateur averti dans lequel il est possible d’entrer sous réserve de se laisser fasciner, hypnotiser, presque conditionner autant par la musique que par ces mouvements faussement browniens (car très millimétrés), un ensemble de sensations que l’on ne maîtrise pas mais qui vous déconnecte et vous projette dans un espace aux repères diffus.
Vraiment, une expérience ! Un dernier conseil, prenez des places en hauteur car l’une des clés de ce ballet se trouve dans le tapis de sol.