En cette période de Noël scintillante de mille feux, le chorégraphe Michel Rahn et le Ballet du Capitole ont offert au public toulousain un magnifique cadeau en portant à la scène le conte de Lewis Carroll avec toute la magie et la fantaisie de ce conte fantastique qui a fait rêver et continue de faire rêver des générations d’enfants mais aussi de plus grands.
« Alice au pays des Merveilles » : La chenille et Maria Gutiérrez (Alice)
(Crédit photo David Herrero)
Le premier acte, assez narratif, plante le décor de cette Angleterre victorienne avec pique-nique, promenade en barque et politesses entre personnes de bonne compagnie, jusqu’à l’irruption de ce Lapin Blanc qui va entraîner Alice sur les chemins d’un monde fantaisiste et merveilleux. Et là commencent la féérie et les rencontres que va faire Alice. C’est d’abord un bien étrange chat qui virevolte autour d’elle, puis apparaît une énorme et chatoyante chenille qui laisse la place à une multitude de petits et grands papillons. L’heure du thé sonnant, elle prend place à une table où sont déjà installés de bien curieux personnages : un chapelier fou, un lièvre sans plus de raison et un loir endormi.
Au second acte, Alice se retrouve dans la roseraie de la Reine de Cœur qui ne rêve que de couper le cou de ses inénarrables serviteurs « cartes à jouer ».
Evelyne Spagnol (Alice) et Hugo
Mbeng (Le Chat du Cheshire)
(Crédit photo David Herrero)
A ses côtés, un Roi de Cœur un peu simplet et un Valet de Cœur doux et rêveur mènent, comme ils peuvent, la danse. Mais ce monde enchanté et étrange n’est que fantaisie et disparaît comme il est venu, derrière le miroir. Le rôle d’Alice est dansé en alternance par María Gutiérrez et Evelyne Spagnol. Si cette dernière interprète avec beaucoup de fraîcheur et une technique sans faille l’héroïne de Lewis Carroll, María est Alice. Elle a dix ans, elle s’émerveille sans s’étonner, nous voyons tous ces étranges personnages par ses yeux et elle nous fait croire à la réalité du rêve. Tour à tour mutine, espiègle ou tendre dans les bras du Valet de Cœur dans le magnifique adage du 2ème acte, elle n’en demeure pas moins la brillante technicienne que nous connaissons, et la voir évoluer sur scène avec cette fluidité, cette assurance qui la caractérisent nous comble une nouvelle fois.
Kazbek Akhmedyarov dans un style des plus classiques, est un Valet de Cœur élégant, tendre, un peu éberlué parfois par la terrifiante Reine de Cœur, interprétée avec une maestria absolue par Paola Pagano qui démontre avec un humour ravageur ses dons d’actrice, sans pour autant oublier sa belle technique et nous éblouit par des relevés impeccables. Dans ce registre, le plus étonnant est peut-être Davit Galstyan. Nous avions déjà pressenti ce potentiel dans « La Mégère Apprivoisée ». Il se révèle ici un acteur parfait dans ce rôle de Roi de Cœur empoté, maladroit et soumis à son ogresse de Reine. Le « mano a mano » Davit-Kazbek est à cet égard un vrai régal, humoristique d’abord, chorégraphique ensuite, tant les deux danseurs rivalisent de virtuosité.
Maria Gutiérrez (Alice), Dmitri Leshchinskiy (Le Lièvre de Mars), Valerio Mangianti (Le Chapelier Fou), Nuria Arteaga (Le Loir) –
(Photo David Herrero)
Dans le registre de l’humour comment ne pas citer l’ébouriffant Chapelier Fou de Valerio Mangianti, le non moins cocasse Lièvre de Mars de Dmitri Leshchinskiy, et la surprenante Nuria Arteaga qui interprète le Loir dans la théière. Habitués que nous sommes à voir ce feu follet sur scène, toujours souriante et espiègle, il nous faut saluer cette performance : méconnaissable dans son costume, elle joue les endormies avec un naturel confondant, tout en gardant sa sûreté technique sur pointes. Magaly Guerry et Juliana Bastos interprètent avec la grâce et la sensibilité qui leur sont habituelles les deux roses du jardin de la Reine.
Alice est ici Maria Gutiérrez (Photo David Herrero)
Point n’était besoin d’avoir pris connaissance de la distribution pour savoir quel danseur se cachait derrière les moustaches du Chat du Cheshire. L’amplitude des sauts, le ballon, les révoltades, la félinité, tout désignait Hugo Mbeng. Les danseuses du corps de ballet furent des roses radieuses. Quant aux danseurs, en prenant l’apparence d’un jeu de cartes ils nous ont régalés de mille facéties, passant d’un profil égyptien à un inénarrable clin d’œil aux « petits cygnes » du lac de Monsieur Petipa, pour s’aplatir tous tremblants devant la terrible Reine. Enfin il faut saluer ici Guillaume Ferran qui a remplacé au pied levé (que l’on me permette ce jeu de mots un peu facile !) et avec quel brio, Jérôme Buttazzoni blessé, dans le rôle du Lapin Blanc qui entraîne Alice dans cette folle aventure.
Tout ce petit monde évolue dans des décors et des costumes qui participent, oh combien !, à la magie du spectacle par leur variété, leur richesse et leurs couleurs. Ils sont signés Phil Daniels et Charles Cusik Smith (à qui l’on devait déjà les décors et les costumes du « Casse-Noisette » de Michel Rahn).
Paola Pagano et Davit Galstyan – La Reine et le Roi de Cœur (Photo David Herrero)
Et pour que notre bonheur soit complet, la musique d’Alexandre Glazounov était interprétée par l’Orchestre National du Capitole sous la baguette experte de David Coleman, grand connaisseur de la musique de ballet que les spectateurs toulousains ont déjà eu maintes fois l’occasion d’applaudir. Quel bonheur pour le public d’entendre une musique vivante et pour les danseurs celui d’être suivis par un chef attentif et des exécutants irréprochables. Nous n’en voulons pour preuve que le duo violon-alto qui accompagnait le pas de deux de María Gutiérrez et Kazbek Akhmedyarov au deuxième acte, une merveille de poésie qui attira même les coups d’archets discrets de l’orchestre en guise d’applaudissements pour les solistes.
Evelyne Spagnol (Alice) et Kazbek Akheddyarov (Le Valet de Cœur)
(Photo David Herrero)
Cette création de Michel Rahn qui, avec elle, fait ses adieux (espérons que ce ne soit qu’un au revoir) à la scène toulousaine, fut un véritable cadeau de fête pour le nombreux public venu assister aux six représentations (quel tour de force pour les danseurs !). Sa chorégraphie néo-classique porte vraiment la signature du chorégraphe, dans les variations, dans la structure du ballet, qui n’est pas sans rappeler celle de son « Casse-Noisette ». On peut se poser la question : quelle troupe pourra interpréter de la même façon cette « Alice » tant les rôles sont écrits pour chacune des individualités de la Compagnie ? Qui mieux que María, ou Paola, Davit, Kazbek, Valerio, Hugo et tous les autres pourra incarner avec autant de vérité ces personnages qui tous ont un peu de chacune des qualités artistiques et techniques de tous ces interprètes ? La réponse nous sera peut-être donnée par Michel Rahn lui-même dans un prochain entretien.