2013 : vingt ans que Rudolf Noureev a quitté la scène de ce monde terrestre pour aller faire danser les étoiles. Les hommages ne pouvaient manquer tant ce danseur a marqué son siècle. Kader Bélarbi, qui a vécu au plus près l’expérience parisienne du maître, recevant de lui, en 1989, la distinction suprême, le titre d’Etoile, ne pouvait manquer, lui non plus, de rappeler le souvenir de celui qui au-delà d’être un immense danseur fut également un magnifique chorégraphe.
C’était, pour les danseurs du Capitole, une expérience nouvelle et ils se sont confrontés, avec un certain bonheur, à quelques-unes des reprises emblématiques de l’étoile tatare qui faisaient leur entrée au répertoire de la troupe. Kader Bélarbi avait choisi un programme ultra classique qui offrait aux spectateurs un magnifique florilège des grands ballets du répertoire remontés par Noureev et dans lesquels le danseur qu’il était s’est particulièrement illustré. Outre sa propre expérience mise au service de la Compagnie, le Directeur de la Danse toulousain avait invité Patricia Ruane, Frederic Jahn, Laurent Hilaire et Laure Muret, maîtres de ballet et répétiteurs très au fait de l’œuvre de Noureev, pour être au plus près des exigences du chorégraphe. Karl Paquette, étoile de l’Opéra et Alice Renavand, première danseuse du Ballet de l’Opéra, venaient compléter la distribution.
La Bayadère : María Gutiérrez – Davit Galstyan
La Bayadère
Pour débuter le spectacle, c’est un pari difficile que s’était lancé Kader Bélarbi : donner Le Royaume des Ombres de La Bayadère avec un effectif de dix-huit danseuses alors que la chorégraphie originale en requiert trente-deux. Défi globalement relevé et réussi. Grâce à une occupation de l’espace optimisée et un rythme peut-être un peu plus lent que d’habitude, cette longue succession d’arabesques penchées produit un superbe effet visuel, même si parfois quelques appuis semblent vaciller. Tatyana Ten et Karl Paquette et María Gutiérrez et David Galstyan dansaient successivement les rôles de Nikiya et Solor. Tatyana Ten y fut éblouissante de présence, de grâce et de sûreté technique, donnant une épaisseur remarquable à son personnage. A ses côtés Karl Paquette est un excellent partenaire, mais, avouons-le, parfois décevant dans sa prestation. La scène du Capitole était-elle trop exigüe pour lui ? Peut-être, car il semblait gêné dans ses grands déplacement, mais cela excuse-t-il quelques à-peu-près dans les assemblés ?
Le couple María Gutiérrez-Davit Galstyan affirme chaque jour un peu plus sa parfaite entente et sa complémentarité sur scène. María nous donne une interprétation toute intériorisée de Nikiya et nous envoûte à notre tour par son lyrisme et sa musicalité. Davit de son côté, ne semble aucunement gêné par la scène capitoline, enchaînant manèges, tours et assemblés doubles avec une facilité déconcertante, sans se départir pour autant de cette même intériorité qui répond à celle de sa partenaire.
Quant aux trois variations des Ombres, retenons celle de Juliana Bastos, délicate et fragile et oublions les autres, du moins celles de la première distribution.
Le Lac des Cygnes : Tatyana Ten – Kasbek Akhmedyarov
La Belle au bois dormant. Roméo et Juliette. Le Lac des Cygnes
Suivait ensuite une série de pas de deux et pas de trois. C’est à des jeunes danseurs de la troupe que Kader Bélarbi avait confié le pas de deux de La Belle au bois dormant. Lauren Kennedy et Matthew Astley nous proposent un instant de danse délicat, très « propre », avec une belle batterie pour lui, beaucoup de grâce pour elle et de très beaux portés en poissons. Dans la deuxième distribution, Sylvia Selvini et Evgueni Dokoukine tirent fort honorablement leur épingle du jeu, en particulier le jeune danseur, tardivement distribué.
Roméo et Juliette :
María Gutiérrez
O
Le duo de la scène du balcon de Roméo et Juliette était interprété tour à tour par María Gutiérrez et Davit Galstyan puis par Caroline Betancourt et Valerio Magianti. Dire que l’interprétation de deux premiers solistes fut l’une des plus saisissantes du programme est certainement en-dessous de la vérité. Véritable moment de grâce qui commence dès le lever de rideau et l’apparition de Davit, qui dès les premières secondes se confond totalement avec le personnage.
Quant à María elle EST Juliette. Toutes les Juliette que chacun peut imaginer : tendre, bouleversante, inspirée, adolescente transfigurée par l’amour. De nouveau la parfaite entente artistique de ce couple nous offre un moment d’une infinie poésie. L’interprétation qu’en donne l’autre couple est une interprétation plus juvénile, plus « adolescente », qui ne manque pas de charme.
Caroline Bétancourt en est l’illustration. Valerio Mangianti nous offre un Roméo lyrique et musical, en patricien élégant.Deux distributions également pour le pas de trois du Cygne Noir, voulu par Noureev.
Julie Charlet, nouvelle venue dans le ballet, est remarquable de grâce et de rouerie mêlées, face à un Shizen Kazama, prince Siegfried juvénile et envoûté et Takafumi Watanabe-Rothbart, pas assez machiavélique à notre goût. La deuxième distribution réunissait Tatyana Ten, Kasbek Akhmedyarov et Demian Vargas pour une interprétation brillante et d’une haute tenue technique.
La Lac des Cygnes : Julie Charlet – Shizen Kazama
Don Quichotte
Pour clore cet hommage, Kader Belarbi nous proposait la scène 2 du troisième acte de cet emblématique ballet du répertoire. Alice Renavand était Kitri et Kasbek Akhmedyarov, Basilio. Très sûrs techniquement, ils surent, tous deux, nous donner une image colorée et endiablée de cette chorégraphie semée d’un nombre certain d’embûches. Tous deux avaient su trouver une complicité qui pourrait ne pas sembler évidente pour deux danseurs n’ayant pas l’habitude de danser ensemble. Mais cela aussi s’appelle le talent. Leur succédaient Julie Charlet et Takafumi Watanabe dans les mêmes rôles. Julie Charlet y est souveraine : musicale, pleine de gaieté, elle se joue elle aussi avec beaucoup d’autorité des difficultés chorégraphiques, suivie en cela par son partenaire, plus à l’aise et brillant dans ce rôle que dans celui de Rothbarth. Autour d’eux le corps de ballet déploie une belle énergie avec quelques variations assez remarquables comme celle de Juliana Bastos et Valerio Mangianti ou de Pascale Saurel et Demian Vargas qui retrouve toute l’élégance latine du bel Espada.
Don Quichotte : Alice Renavand – Kasbek Akhmedyarov
Pour ce voyage Dans les Pas de Noureev, David Coleman, grand habitué des spectacles de ballet au théâtre du Capitole et qui sait fort bien mener sa phalange en ne perdant jamais de vue le travail des danseurs, dirigeait l’Orchestre du Capitole, avec la bonhomie et la jovialité qu’on lui connaît.
Les foyers du théâtre accueillaient une exposition de photos de Francette Levieux et des costumes portés par Noureev et prêtés par le Centre National du Costume de Moulins, en complément de cet hommage.
L’enthousiasme du public, ses longs applaudissements, sa lente sortie du théâtre pour en ressentir encore la magie, démontrent, si besoin est, que le ballet classique est loin d’avoir disparu du cœur du grand public.