Après la belle prestation, en ouverture, du vétéran Joaquin Achúcarro, celle du jeune virtuose allemand Joseph Moog, en pleine ascension, le 6 septembre, vient justifier la démarche du Festival Piano aux Jacobins qui confronte harmonieusement artistes consacrés et découvertes de nouveaux talents. A coup sûr, c’est une étoile montante du clavier que vient d’applaudir le public toujours aussi passionné du festival toulousain.
Né en 1987 en Allemagne, Joseph Moog a reçu entre 2006 et 2008 le premier prix des concours de Rhénanie-Palatinat et Edmond Rothschild, le prix Philippe Chaignat et celui du Verband der Deutschen Konzertdirektionen (VdKD). Il est titulaire d’une bourse de la société Mozart de Dortmund et mène déjà une carrière de soliste internationalement reconnu. Impressionnant le monde musical par sa virtuosité hors norme et son goût pour les partitions rares, il a été récemment élu jeune artiste de l’année par l’International Classical Music Awards.
Le programme de son récital toulousain explore un large répertoire dont la chronologie s’étend de Mozart à Ravel. A l’évidence, la performance technique et pianistique du musicien le hisse au plus haut niveau. Plénitude des sonorités, large plage de dynamique, vélocité digitale impressionnante font du jeune interprète un authentique virtuose. Qu’en est-il de l’adéquation de son jeu aux œuvres qu’il défend avec une indiscutable conviction ? Cela dépend. Exception faite des deux pièces de Mozart qui ouvrent son récital, son engagement, son enthousiasme emportent l’adhésion lorsqu’il se mesure à Beethoven, à Liszt, à Ravel.
Les deux Fantaisies, en ré mineur et en ut mineur, de Mozart, investissent un monde intime, celui de la douleur secrète, un monde d’où émerge ce « sourire à travers les larmes » qui n’appartient qu’au compositeur de ces sonates dont Artur Schnabel déclarait : « Elles sont trop faciles pour les enfants et trop difficiles pour les adultes. » Joseph Moog, par un excès de vitesse digitale, de virtuosité, de contrastes dynamiques dissipe la profondeur pudique et touchante qui constitue la substance de ces deux chefs-d’œuvre.
Le jeune pianiste allemand Joseph Moog
Cette impression de malaise se dissipe immédiatement dès que le pianiste aborde le répertoire romantique dans lequel il excelle. De la Sonate n° 14, la fameuse « Clair de lune », il livre une vision équilibrée et différentiée. L’Adagio sostenuto initial coule comme un paisible cours d’eau. L’Allegretto central, pris dans un tempo modéré, s’enchaîne par contraste sur un Presto agitato qui mérite son nom. Spectaculaire et torrentiel, ce final suscite un enthousiasme justifié de tout le public.
La seconde partie du récital révèle vraiment la dimension authentique de l’interprète. Liszt semble avoir composé pour lui ! Des Trois sonnets de Pétrarque, extraits des Années de pèlerinage, Joseph Moog offre une vision hallucinée mais, là aussi, mesurée. Certes, comme on s’y attend de la part de ce jeune et fougueux musicien, les paroxysmes digitaux et expressifs sont exacerbés. Mais la tendresse, la réflexion, la profondeur de la pensée habitent toute son exécution, fidèle en cela à l’original chanté de ces trois poèmes pianistiques. L’ultime note pianissimo du troisième Sonetto suscite une authentique émotion.
La pièce suivante, la Rhapsodie Hongroise n° 12, toujours de Liszt, a été revisitée par Joseph Moog lui-même, suivant en cela les pratiques courantes de certains grands virtuoses du clavier comme en particulier le grand Vladimir Horowitz. Tel un funambule du clavier, le pianiste réalise là une véritable performance en forme de feu d’artifice.
Le sublime triptyque Gaspard de la nuit, d’après l’ouvrage d’Aloysius Bertrand, de Maurice Ravel trouve en Joseph Moog un interprète affûté. La fluidité liquide d’Ondine culmine dans l’irrésistible crescendo qui prend à la gorge. Le sinistre Gibet baigne dans une atmosphère hypnotique et blafarde avec cette pédale obsessionnelle de si bémol. Dans le final halluciné Scarbo, l’interprète convoque toutes les peurs sans exagérer le caractère grimaçant du lutin maléfique que ce final met en scène. Un grand moment !
Rappelé indéfiniment par un public conquis, Joseph Moog accorde pas moins de cinq bis aussi divers que stimulants. Une pièce lumineuse de Scarlatti dans un arrangement d’un élève de Liszt (peut-être Carl Tausig ?) ouvre la séquence. Elle est suivie de la belle Etude-tableau op. 33 n°8 de Rachmaninov, puis par une nouvelle Csardas échevelée de Liszt. La soirée s’achève sur une improvisation pleine d’imagination de l’interprète sur la célèbre chanson de George Gershwin : Wonderful.
La découverte in situ de ce jeune artiste confirme l’intérêt suscité par ses enregistrements discographiques, déjà salués dans la presse musicale.