Ce n’est pas encore une star et pourtant son talent est là pour lui ouvrir les portes de ce statut. Le Mexicain Javier Camarena, un élève de son compatriote Francisco Araiza, vient de soulever l’enthousiasme d’une Eglise du Carmel archicomble. La standing ovation qui est venue saluer son récital est là pour en témoigner.
Accompagné au piano par un spécialiste d’opéra, mexicain également : Angel Rodriguez, Javier Camarena nous a proposé un programme dans lequel il a pu faire briller toutes les facettes d’une voix qui s’installe aujourd’hui parmi les incontournables d’un certain répertoire.
S’il n’est pas un interprète de Mozart particulièrement couru, seule sa maison de base, Zurich, lui a proposé Ferrando, Belfiore et Belmonte, il n’en demeure pas moins que son Tradito, schernito de Cosi fan tutte, précédé d’un récitatif particulièrement engagé, ouvre cette soirée sur des sommets d’émotion.
Il est suivi d’un air extrait d’un opéra peu connu d’un compositeur qui l’est encore moins : Niccolo Antonio Zingarelli (1752-1837), un musicien dont Napoléon admirait les œuvres.
Javier Camarena (ténor) et Angel Rodriguez (piano)
– Photo Toti Ferrer –
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C’est l’aria d’Everardo Capellio extrait du 1er acte de ce qui est considéré comme le chef-d’œuvre de ce compositeur : Giulietta e Romeo. L’écriture accidentée de cet air, ainsi que la sollicitation du registre aigu conviennent parfaitement à ce ténor. Les trois arias qui se succèdent ensuite sont dus à Manuel Garcia, immense chanteur et compositeur sévillan, créateur d’Almaviva du Barbier de Séville de Rossini, formidable pédagogue et, pour la petite histoire, père de la Malibran. Ils sont extraits de trois de ses opéras : La mort du Tasse, El gitano por amor et El Poeta Calculista. Mais ce début de soirée ne peut s’achever sans un véritable cliffhanger vocal sur la seconde partie du programme : ce sera l’aria de Ramiro : Si, ritrovarla io giuro. Rossini et sa Cenerentola, voilà pourquoi le public est venu en affluence. C’est dans ce répertoire que Javier Camarena est aujourd’hui unique.
Unique non seulement par son aisance dans le registre supérieur, mais aussi par sa vocalisation et l’homogénéité d’une voix couvrant largement et avec la même aisance deux octaves. Le timbre est du miel le plus onctueux, chaleureux et solaire, le souffle semble inépuisable, le style inattaquable, la musicalité hors pair, l’émotion toujours présente. L’entracte paraît long, long…
Reprise en forme d’hommage à la fondatrice de ce festival, récemment disparue, Carmen Mateu. Quoi de plus émouvant donc que cette entrée d’Arturo dans I Puritani de Bellini, le fameux A te, o cara, que le ténor phrase avec une délicatesse extrême.Rossini est de retour avec un extrait de L’Italienne à Alger : Languir per une bella, l’air de Lindoro tout en vocalises que Javier Camarena orne à profusion dans la reprise. S’il termine le programme officiel avec l’incontournable Tonio de La Fille du régiment de Donizetti, il l’aura faite précédée de ce que l’on peut considérer comme un début de changement de répertoire, rien moins que la scène finale de Lucia di Lammermoor de Donizetti. Changement car Edgardo frôle le grand lyrique, avec des exigences prégnantes dans le bas médium et le grave, sans parler d’une orchestration plus présente. Il a abordé le rôle à Madrid cette année et le reprendra à Munich l’an prochain. Vue la prudence de cet artiste à ce jour, nul doute qu’il a bien étudié la question. En même temps, la quarantaine légèrement dépassée, il est aisé d’imaginer un instrument vocal en sensible évolution. A suivre donc.
Les frénétiques applaudissements qui accueillirent les célèbres et ici glorieux contre ut de Tonio nous valurent une véritable troisième mi-temps particulièrement généreuse. Bellini et Garcia revinrent au programme, puis des chansons mexicaines dont Sigo siendo el Rey chantée en chœur avec… le public. Du délire ! Une magnifique soirée avec un artiste dont la simplicité le dispute à l’exceptionnel.