Festivals

La belle nuit des cordes de Toulouse d’été

Le 13 juillet dernier, trois ensembles de musique de chambre étaient invités à animer l’une des longues nuits du festival Toulouse d’été. Le thème général de cette 13ème édition, « Musique à 360° », trouve dans la programmation de cette soirée son expression suprême. Les trois concerts qui se succèdent ont été possibles grâce à l’investissement culturel et au travail exemplaire de l’association ProQuartet qui contribue, depuis bientôt 30 ans, à la formation et à la promotion des jeunes ensembles de musique de chambre. Un trio pour piano et cordes ainsi que deux quatuors à cordes illuminent de leurs talents le mythique cloître des Jacobins et sa belle salle capitulaire au ciel étoilé si joliment restauré.
Le Trio Zadig
Fondé au début de l‘année 2015, ce benjamin des ensembles de la soirée a déjà remporté neuf prix de concours en France, en Italie, en Autriche et aux Etats-Unis. Dans le cadre des formations animées par ProQuartet, le Trio Zadig a bénéficié des conseils de grands artistes internationaux comme Gary Hoffman ou Menahem Pressler. Il est finalement devenu résident de l’association en 2016.

Les musiciens du Trio Zadig. De gauche à droite : Boris Borgolotto, violon, Ian Barber, piano, Marc Girard-Garcia, violoncelle – Photo Classictoulouse –

Le violoniste Boris Borgolotto, le violoncelliste Marc Girard-Garcia et le pianiste Ian Barber choisissent d’ouvrir leur concert sur le Trio pour piano et cordes n° 1 en ut mineur, de Dimitri Chostakovitch. Cette partition d’un tout jeune homme de seize ans conserve quelques résonances postromantiques. Passée une entrée en matière éthérée et rêveuse, les éléments qui caractériseront le style acéré et les contrastes expressifs du compositeur se font jour. Les trois musiciens manifestent, tout au long de cette courte pièce d’un seul élan, un engagement, une passion qui font alterner l’inquiétude, la fébrilité, et même le désespoir.

Le contraste formel avec le Trio en la mineur de Maurice Ravel n’est pas mince, même si les interprètes en avivent les arêtes, en soulignent les contrastes. Au rêve qui émane du premier volet Modéré, construit sur une danse basque, succède le fantasque Pantoum et son trio, aux rythmes habilement opposés. La Passacaille, telle une arche, atteint un étonnant paroxysme entre deux élégies émouvantes. Dans le final, la progression dramatique est largement soulignée par les interprètes qui en exploitent brillamment l’aspect symphonique.

Applaudis chaleureusement, les trois compères offrent en supplément le 3ème mouvement de l’un des Trios en ut majeur de Joseph Haydn. Le sourire après le drame.
Le Quatuor Psophos
Si sa fondation date de 1997 au Conservatoire national de musique et de danse de Lyon, le Quatuor Psophos a subi un renouvellement important en 2009, lorsque le violoniste Eric Lacrouts et le violoncelliste Guillaume Martigné sont venus rejoindre la violoniste Bleuenn Le Maître et l’altiste Cécile Grassi. L’ensemble ainsi formé illustre amplement la signification de son nom : le terme grec « Psophos » se traduit en effet par « Evénement sonore ». En vérité, l’écoute de ce splendide quatuor constitue vraiment un événement. Le raffinement du jeu, la cohésion de l’ensemble, les qualités de son et de phrasé de chacun constituent un motif constant de bonheur pour l’auditeur.

Le Quatuor Psophos. De gauche à droite: Eric Lacrouts et Bleuenn Le Maître, violons,

Cécile Grassi, alto, Guillaume Martigné, violoncelle – Photo Classictoulouse –

Ces musiciens admirables choisissent de débuter leur contribution à cette nuit des cordes sur une œuvre rare d’un compositeur peu présent dans les programmes de concert. Compositeur, mais aussi chef d’orchestre et pianiste, le Hongrois Ernő Dohnányi est à la tête d’une véritable dynastie de musiciens. À l’instar de Béla Bartók et Zoltán Kodály, Dohnányi s’est inspiré du folklore hongrois. Néanmoins son Quatuor à cordes n° 1 en la majeur, qui ouvre la prestation du Quatuor Psophos, apparaît d’un classicisme lumineux. La douceur de l’Allegro introductif donne aux interprètes l’occasion de porter aux nues cet extrême raffinement qui caractérise leur approche. Dans l’Allegro grazioso, la perfection formelle laisse poindre de très sensibles évocations, comme suspendues aux silences, aux ralentis du déroulement. Une douce nostalgie irrigue tout le Molto adagio con espressione, un titre auquel les musiciens donnent tout son sens. Le final Vivace retrouve les racines terriennes du compositeur. La danse y règne en maître. Une danse à laquelle se mêlent de traditionnels éléments alla ungarese.

Le splendide et unique Quatuor en sol mineur de Claude Debussy occupe toute la seconde partie du concert. Les interprètes abordent cette œuvre emblématique avec un respect absolu des indications du compositeur. Si le premier mouvement est noté Animé et très décidé, c’est bien ainsi que les musiciens le conçoivent. Ils y développent un élan passionné d’une noble grandeur. Les pizzicati dominant le deuxième volet Assez vif et bien rythmé, sont magnifiquement exécutés, aussi précis qu’expressifs. La tendresse rêveuse de l’Andantino, doucement expressif constitue un moment privilégié d’onirisme nocturne. La retenue, les sonorités soyeuses, l’investissement affectif de chaque interprète font de ce mouvement un sommet d’émotion. Les contrastes du final, du Très modéré introductif au Très mouvementé et avec passion de la seconde partie, entraînent l’auditeur vers l’implacable coda dans un cheminement presque orchestral. Du très grand art !

Le bis particulièrement consistant qui répond aux acclamations du public plonge dans le tragique beethovénien. L’Adagio du Quatuor n° 1, conçu par son auteur pour évoquer la scène du tombeau de Roméo et Juliette reste une page stupéfiante du jeune compositeur.
Le Quatuor Tercea
Depuis sa création en 2004, le Quatuor Tercea n’a cessé de se faire remarquer dans les grands concours internationaux. Après de multiples rencontres avec les grandes institutions du domaine du quatuor à cordes, la jeune formation a elle aussi rejoint le parcours de formation professionnelle de ProQuartet. Les violonistes Florent Maviel et Anne Camillo, l’altiste Céline Tison et le violoncelliste Pablo Tognan ont reçu les conseils des personnalités incontournables du quatuor à cordes comme Günther Pichler ou Walter Levin. Leur enthousiasme contagieux fait plaisir à voir et à entendre. Ils « s’attaquent » ce soir-là à deux œuvres majeures du répertoire, l’unique Quatuor en fa majeur de Maurice Ravel et Ainsi la nuit, d’Henri Dutilleux.

Les musiciens du Quatuor Tercea. De gauche à droite : Florian Maviel et Anne Camillo, violons, Céline Tison, alto, Pablo Tognan, violoncelle – Photo Classictoulouse –

Si les premières mesures de l’Allegro moderato du Quatuor de Ravel évoquent la poésie raffinée et subtile, dès le deuxième volet Assez vif – Très rythmé, l’utilisation du pizzicato prend un aspect volontaire jusqu’à une certaine violence percussive. Sous les doigts des jeunes interprètes, l’agitation rythmique devient « motorique ». De grands élans lyriques, passionnés même, ponctuent le rêve du troisième mouvement Très lent. Enfin, le Vif et agité final exacerbe encore le discours de l’ensemble, jusqu’aux dernière mesures nourries de virtuosité instrumentale.

Le choix de terminer cette soirée par le Quatuor de Dutilleux semble bien dicté par le titre donné à sa partition par le compositeur : Ainsi la nuit ! Les sept étapes de l’œuvre s’enchaînent, une seule interruption intervenant au milieu de la pièce. La complexité des successions, la richesse spécifique de chaque « moment » et son intégration dans un ensemble conçu, construit comme une architecture, constituent un véritable chalenge que les jeunes musiciens accomplissent là aussi avec une sorte d’appétit, de voracité ! La seconde partie, du cri au murmure, atteint même une sorte de délire. L’énergie sans limite des interprètes s’y déploie avec ardeur.

Le bis offert en réponse à l’accueil du public retrouve un certain calme. La Cantilena du Brésilien Heitor Villa-Lobos ramène une certaine sérénité.
Ce mini-marathon dédié à la musique de chambre n’est qu’une étape dans le déroulement de ce 13ème festival Toulouse d’été. A noter la présence d’Adam Laloum et du Quatuor Modigliani les 19 et 20 juillet. A ne pas manquer !

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