L’émotion la plus vive a envahi la Halle aux Grains toulousaine lors de ce concert dominical du 26 février. Jean-Marc Andrieu y dirigeait l’ensemble Les Passions-Orchestre Baroque de Montauban, de valeureux solistes et une immense foule de choristes dans l’une des plus humaines et des plus émouvantes partitions sacrées, l’oratorio de Johann Sebastian Bach, la Passion selon Saint-Jean. N’en doutons pas, ce concert mémorable, en hommage à Alix Bourbon, restera longtemps dans les cœurs et les esprits !
Cet événement important s’intègre dans la 4ème édition de la biennale Passions Baroques à Montauban organisée par Jean-Marc Andrieu et ses musiciens aussi bien dans la cité d’Ingres qu’à Toulouse et dans sa région. Ce programme, en partenariat avec l’EVAB (Evénements Vocaux Alix Bourbon), a d’ailleurs été donné la veille à Montauban, puis est repris dans la foulée à Albi et à Pamiers. La représentation toulousaine revêtait un lustre particulier par l’ampleur de l’hommage à Alix Bourbon, décédée en novembre 2016 et laissant orphelins de nombreux chanteurs et musiciens. Rappelons que cette légendaire chef de chœur a initié de nombreux projets dans la région toulousaine et consacré sa vie au chant choral. Elle a fondé deux ensembles vocaux qu’elle a également dirigés : l’ensemble Vocal Alix Bourbon et le Groupe Vocal de Toulouse. Elle fut la marraine de cœur de nombreux chanteurs et musiciens, Joël Suhubiette et Jean-Marc Andrieu comptaient parmi ses fidèles.
Le dispositif imposant de cette représentation par l’Orchestre Les Passions et la réunion des grands chœurs de la région, sous la direction de Jean-Marc Andrieu
– Photo Isabelle Allamargot –
La Passion selon Saint-Jean, composée par Bach pour son premier Vendredi Saint à Leipzig en 1724, perpétue une très ancienne tradition remontant au Moyen-Âge et consistant à chanter la Passion du Christ pendant la Semaine Sainte. Ses amples proportions et la conception de son déroulement animé par les interventions de l’Evangéliste en font un chef-d’œuvre intemporel à même d’émouvoir croyants et non-croyants.
Ce dimanche 26 février, près de 400 choristes sont réunis à Toulouse pour cette célébration. Quatre chœurs principaux occupent le centre de la scène : Archipels – Atelier vocal des éléments, dirigé par Joël Suhubiette, les ensemble vocaux Arioso (direction Christine Caner) et Voix d’Apamée dirigé par Alex Rival auxquels se joint la magique Maîtrise du Conservatoire de Toulouse, animée par Mark Opstad. Qu’il me soit permis de rendre un hommage particulier à ce tout jeune groupe vocal, d’une qualité musicale et d’une ferveur exceptionnelles, qui a un temps été menacé de disparition à la suite de décisions administratives incompréhensibles. La raison l’a heureusement emporté et nous souhaitons longue vie musicale à cette belle Maîtrise.
En outre plusieurs chorales de la région ont été invitées à participer : l’ensemble vocal Les Paradoux et La voix des airs (direction Isabelle Amargot), l’Ensemble Vocal La Bosca (direction Ghislaine Dussourd), l’Ensemble Vocal Rive Gauche (direction Eric Vignon), Atout Chœur (direction Jean Andreu) et Chœurs de la Plaine (direction Jean-Yves Garinet).
Au centre, le ténor Sébastien Obrecht dans le rôle de l’Evangéliste. A droite, Jean-Marc Andrieu et les musiciens du continuo. A gauche, au, premier rang du chœur, les jeunes membres de la Maîtrise du Conservatoire de Toulouse – Photo Isabelle Allamargot –
On pouvait craindre un alourdissement de cette sublime partition par une telle masse chorale. Il n’en est rien ! Le choix de Jean-Marc Andrieu de moduler l’effectif par une géométrie variable adaptée au caractère de chaque intervention (choral, chœur, turba) confère à tous les épisodes une transparence inattendue et un impact dramatique saisissant. Ainsi en est-il du chœur d’entrée, Herr unser Herrscher (Seigneur, notre Maître) qui ne réunit l’ensemble des phalanges vocales que lors de la reprise. L’élan fervent avec lequel ce chœur initial est exécuté donne immédiatement le frisson. Il prolonge l’extraordinaire introduction instrumentale ponctuée par ces douloureuses dissonances admirablement distillées par les bois, notamment les deux hautbois. Les interventions chorales de la foule, en particulier lors de l’épisode chez Pilate, sont admirablement animées, précises et d’une parfaite cohésion.
Lorsque l’Evangéliste de Sébastien Obrecht débute son récit, il enclenche cette dramatique épopée qui ne lâchera pas l’auditeur jusqu’au dénouement. Il est le guide de ce chemin sacré. La voix solide et belle, le sens de la déclamation, l’impeccable diction, le sens des nuances, l’extrême mobilité du débit (comme une prémonition du chant syllabique), font de ce brillant ténor un récitant d’exception. Son Evangéliste est un être de chair et de sang, partagé entre compassion et révolte, angoisse et espoir. Sans en rajouter sur le drame qui se joue, il trouve comme instinctivement le ton juste. Il en est ainsi de sa description bouleversante des pleurs de remord de Pierre. Outre les récitatifs, véritable colonne vertébrale de l’œuvre, Sébastien Obrecht est également chargé des arias de ténor qu’il délivre avec une science et une sensibilité étonnantes. En particulier, l’aria si redoutable de la flagellation devient blessure.
Les chefs de chœur et les solistes entourant Jean-Marc Andrieu
– Photo Isabelle Allamargot –
A ses côtés, la basse Alain Buet incarne Jésus avec la noblesse et l’éloquence de son timbre profond. Pilate et les arias de basse incombent à Stéphane Imboden, dont le sublime air avec chœur Mein teurer Heiland témoigne d’une belle retenue, d’une authentique intériorité. Les deux arias d’alto bénéficient du timbre chaleureux et de la sensibilité de Guillemette Laurens. Le sommet tragique de toute l’œuvre, l’air Es ist vollbracht (Tout est consommé), admirablement introduit et soutenu par la viole de gambe de François Joubert-Caillet, sonne ici comme une douloureuse complainte.
La soprano Julia Wischniewski transcende enfin les deux arias qui lui sont dévolus. On regrette qu’il n’y en ait que deux ! Dans le poignant air des larmes à la mort du Christ, Zerfliesse mein Herz (Pleure mon cœur), elle trouve l’équilibre parfait entre beauté formelle et émotion. Le timbre de rêve, d’une idéale fraîcheur, le raffinement de la virtuosité sont ici placés au service exclusif de la musique et de la sensibilité. L’art cache l’art.
Lorsque se referme cette Passion sur le chœur Ruht wohl (Repose en paix), on a du mal à retenir ses larmes… Il reste néanmoins à remercier l’artisan central de cette réussite, Jean-Marc Andrieu, qui dirige sans partition cette œuvre sublime. Il adopte là le précepte de Toscanini : « Plutôt la partition dans la tête que la tête dans la partition ! » Sa conduite de l’œuvre réalise un bel équilibre entre l’ensemble instrumental et les voix, d’une part, mais également entre le continuo et le reste de l’orchestre, d’autre part. Ainsi, Yasuko Uyama-Bouvard à l’orgue, Etienne Mangot au violoncelle et Laurent Le Chenadec au basson ponctuent avec présence et finesse ce touchant cheminement vers l’éternité. L’impact sur le public est tel qu’il est invité à participer de la voix à la reprise du choral final. La communion est totale.
Un grand merci à tous !