En invitant tous les ans la troupe britannique Diva Opéra, le Festival de la Vézère nous fait revivre un phénomène qui a fait florès jusqu’à il y a une cinquantaine d’années en France, celui de la Troupe d’opéra. En fait, il s’agissait pour les théâtres lyriques d’avoir à disposition toute l’année deux à trois représentants (voire plus selon l’importance du théâtre) de chacune des tessitures. Moyennant quoi, ces artistes chantaient alternativement un second ou un premier rôle, selon un système d’alternance qui leur assurait le repos vocal nécessaire. C’est ainsi que le rideau se levait tous les soirs. Les pays anglo-saxons ont encore recours aux troupes d’opéra de nos jours.
Pour illustrer ce système, cette année, dans la grange du Château du Saillant, où se produisait la Troupe Diva Opéra, le même interprète chante le Docteur Grenvil un soir et Basilio le lendemain, un autre a en charge le Baron Douphol et Bartolo, une invitée à la soirée de Flora enfile ensuite le costume de Rosine, etc. Et tout cela dans la bonne humeur, un dynamisme et un sérieux qui sont la marque de fabrique de cette poignée de chanteurs itinérants qui vont se produire pas moins de vingt fois en France cet été.
La traviata – Eddie Wade (Germont) et Laura Parfitt (Violetta)
– Photo Christian Delmas –
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Au programme cette année : La traviata et Le Barbier de Séville.
Bicentenaire du Maestro italien né en 1813 oblige, il eût été impensable que cette troupe n’affiche pas l’une des œuvres maîtresses de Giuseppe Verdi. Laura Parfitt est une Violetta à la voix homogène et puissante dans tous les registres. L’an passé elle avait enflammé ce lieu avec une Floria Tosca incandescente. Subtile comédienne, elle sait transmettre avec habileté, vue la proximité avec le public (quelques mètres tout au plus) et l’exigüité de l’espace scénique (une quinzaine de mètres carrés !), l’évolution de ce personnage sacrifié sur l’autel de la plus ignoble des hypocrisies sociales. Cet engagement dramatique est d’ailleurs une qualité récurrente chez tous les membres de cette troupe. Ashley Catling est un Alfredo très émouvant dont le ténor trouve son meilleur dans un medium au phrasé exemplaire de longueur.
Mais le triomphateur de la soirée va être le baryton Eddie Wade. Cet artiste impose un Germont d’une véritable splendeur vocale, autant dans la densité du timbre que dans sa richesse harmonique, son legato et son contrôle du souffle. Quel style ! Seconds rôles évidemment de luxe puisque nous les retrouvons le lendemain soir dans les premiers emplois du Barbier de Séville. Et quel Barbier ! Pour être di qualità, il était di qualità. Dominé de la tête et des épaules par le gigantesque Figaro de David Stephenson, dont le baryton ample et généreux ainsi qu’une indiscutable présence scénique doublée d’une réelle vis comica font ici merveille, ce Barbier nous vaut de croiser des interprètes hauts en couleurs. Il en est ainsi du Bartolo d’Adrian Powter dont la maîtrise du chant syllabique sait affronter l’infernale aria que lui a réservée Rossini. Si l’on ne sait trop que penser de la voix très « technique », entièrement dans le masque, de la Rosina de Laura Kelly, saluons comme il convient le Basilio repoussant à souhait (ses quintes de toux sont à hurler de rire) de Freddie Tong, une basse à la voix particulièrement longue et à la projection impérieuse. Le Comte Almaviva est aussi une jolie découverte, celle de John-Colyn Gyeantey, un ténor très habile dont la voix homogène et la souplesse d’émission rendent justice à cet emploi particulièrement délicat. Et il ne faudrait pas oublier la Berta d’Elizabeth Karani qui fit de son aria di sorbetto un moment d’une belle… fraîcheur.
Le Barbier de Séville – De gauche à droite : David Stephenson (Figaro), John-Colyn Gyeantey (Almaviva, assis), Adrian Powter (Bartolo) et Laura Kelly (Rosina)
– Photo Christian Delmas –
Ces deux spectacles, dont l’ingéniosité scénique et l’intelligence dramaturgique en disent long sur la créativité des metteurs en scène, sont accompagnés par le directeur musical de cet ensemble : Bryan Evans. Pierre angulaire de cette troupe, il dirige depuis son piano et avec une virtuosité jamais prise en défaut, l’ensemble de la troupe. Et l’on imagine à peine le travail en amont qui est ainsi réalisé à entendre par exemple le terrifiant final du 1er acte du Barbier, une sorte de dentelle rythmique ici chantée avec une précision hallucinante.
Bien sûr nous ne sommes pas dans les hollywoodiennes distributions et productions salzbourgeoises. Pourquoi alors ce bonheur ressenti, cette impression de véritable communion avec un art qui nous est cher entre tous, cette sensation de plonger au cœur vrai d’une œuvre et d’en côtoyer au plus près l’intimité des personnages ? Tentez une fois l’expérience Diva Opéra et vous aurez la réponse.