L’artiste turc Fazil Say poursuit une carrière très particulière, un peu en marge des circuits balisés. Voici une parution qui lui donne la parole en tant que pianiste mais également de compositeur. Ce nouvel album s’ouvre ainsi sur l’œuvre intitulée Four Cities de Fazil Say, une commande de la BBC créée en 2012 à Londres. Suivent trois des grandes sonates pour piano et violoncelle composées par trois artistes représentatifs de la diversité européenne au XXème siècle : Debussy, Janáček et Chostakovitch.
Comme l’écrit le compagnon de route du pianiste, le violoncelliste Nicolas Altstaedt : « Four Cities est une plongée dans l’univers de la poésie, le mysticisme, dans l’histoire, les secrets et les passions de l’Orient… » Le titre l’indique clairement, il s’agit ici de quatre portraits saisissants et contrastés de villes turques. En dépit des épreuves que le pouvoir de son pays lui fait injustement subir, Fazil Say témoigne ici d’un véritable chant d’amour à sa terre de naissance.
Four cities s’ouvre sur l’évocation de Sivas, grand centre culturel d’Anatolie lié aux premières apparitions du compositeur comme pianiste. Une immense nostalgie, une mélancolie touchante caractérisent ce premier volet. Le contraste n’est pas mince avec le deuxième portrait, image sonore frénétique de la ville de Hopa qui évoque une danse populaire et les festivités d’un mariage. Le retour à l’évocation touchante des souvenirs d’enfance habite tout le troisième mouvement de cette suite consacré à la ville de naissance du pianiste-compositeur, Ankara.
C’est sur l’agitation très jazzistique de Bodrum, ce célèbre centre de vacances baptisé le Saint-Tropez turc que s’achève le voyage. Dans cet ensemble, les deux instruments sont habilement travestis. Le piano prend par instants des allures de percussions et le violoncelle imite quelques-uns des instruments à cordes traditionnels de Turquie.
Ce bain d’exotisme authentique se poursuit avec trois chefs-d’œuvre du grand répertoire pour violoncelle et piano du XXème siècle. Dans sa Sonate, Claude Debussy, en fin de vie, écrit un hommage à la sonate à la française. Couleurs, vivacité, poésie, lyrisme discret fondent un langage parfaitement assimilé par les deux interprètes qui jouent sur les contrastes dynamiques et expressifs, sans négliger l’élégance permanente du propos.
La pièce intitulée Pohádka (Conte de fée), du tchèque Leoš Janáček, renoue avec les caractéristiques si originales du compositeur de Jenůfa. Harmonies colorées, engagement expressif caractérisent l’œuvre donnée ici dans sa version révisée de 1923 et jouée avec une conviction de chaque instant.
La Sonate op. 40 de Dmitri Chostakovitch, qui complète ce panorama, allie une certaine retenue classique, celle du 1er mouvement, le plus développé, au déploiement sarcastique de l’Allegro final auquel le compositeur se livre souvent dans ses symphonies. Au centre de l’œuvre, la puissante méditation du Largo jette une ombre tragique.
Un grand et beau voyage musical !