Compositeur, patriote et citoyen soviétique le plus décoré de son pays, Dmitri Chostakovitch a toute sa vie construit une œuvre originale entre soumission aux autorités et contestation parfois violente de leur part. Ses mémoires comme sa musique évoquent de manière éloquente la dictature stalinienne avec laquelle il a dû conter. A côté de ses quinze symphonies et de ses six opéras dont deux restés inachevés, il laisse un corpus de musique de chambre d’une insondable profondeur et d’une sincérité touchante. Voici une parution qui rend pleine justice à cet art de l’intime.
Le Quatuor Artemis, l’une des plus prestigieuses formations de musique de chambre du moment, est actuellement composé de Vineta Sareika et Anthea Kreston (violons), Gregor Sigl (alto) et Eckart Runge (violoncelle). Il aborde ici pour la première fois au disque ce monde secret, à travers deux des quinze quatuors du compositeur et de son Quintette avec piano, pour lequel il est rejoint par la grande pianiste russe Elisabeth Leonskaja. Ces musiciens perfectionnistes ont choisi d’encadrer la gravure du Quintette par celles de deux des grands Quatuors de la série, les numéros 5 et 7.
L’écoute de cette nouvelle parution permet tout d’abord d’admirer la perfection formelle du jeu de ces musiciens qu’une cohésion parfaite unit comme s’il s’agissait d’un instrument unique à seize cordes. Le sens de la couleur, le pouvoir expressif, la sensibilité de chacun contribuent à faire de cet enregistrement l’un des plus intenses de ces œuvres.
Dans le Quatuor n° 5, grave et parfois désespéré, on admire les changements subtils d’éclairage, la finesse des transitions entre mouvements enchaînés.
A la tendresse inquiète de l’Andante succède un final complexe qui mêle grâce légère et tragédie. Comme si s’exprimait là le reflet d’une vie faite de contrastes et de contraintes. Le decrescendo final, jusqu’aux limites du silence, donne le frisson.
L’esprit et la lettre du Quatuor n° 7 sont très différents. Plus concise, empreinte d’une certaine douceur, cette partition est dédiée à la mémoire de la première épouse du compositeur, décédée en 1954. L’Allegretto fébrile est suivi d’un Lento méditatif dans lequel les interprètes conservent une pudeur expressive admirable. Dans le mouvement final, une angoisse sourde se manifeste jusqu’à une certaine agitation tragique.
Le Quintette opus 57 représente l’œuvre la plus ancienne des trois. Le piano impérial d’Elisabeth Leonskaja se mêle aux cordes avec un sens étonnant de la discussion multiple. Les échanges bénéficient de la transparence du jeu commun. Comme suspendue entre ciel et terre, la fugue de l’Adagio évoque la forme ancienne du « tombeau » de la période baroque. Une profonde émotion domine tout cet épisode. Le final retrouve ce sens de l’ambigüité expressive qui caractérise le style de Chostakovitch, champion du double langage musical. La joie apparente qui s’y manifeste reste tout au long teintée d’inquiétude. Les interprètes trouvent le juste chemin de l’expression, entre sérénité et angoisse.
Voici l’une des parutions les plus intenses, les plus denses de ce répertoire exigeant et fort.