Après Schubert et Beethoven, Johannes Brahms devient le terrain de jeu du merveilleux Quatuor Artemis. Les quatre musiciens qui composaient cet ensemble lors de cet enregistrement ont choisi de coupler le premier et le dernier des trois seuls quatuors publiés par Brahms à la veille de l’écriture tardive de sa toute première symphonie. Sa réticence à se confronter au domaine symphonique qu’il considérait comme difficile à aborder après Beethoven ne s’appliquait visiblement pas au quatuor à cordes.
En effet, les musicologues estiment que l’auteur du Requiem Allemand aurait composé, dans sa jeunesse, une vingtaine de quatuors qu’il aurait détruits, les jugeant indignes d’être conservés. Son exigence lui faisait écrire : « Ce n’est pas difficile de composer : ce qui est incroyablement difficile c’est de faire tomber sous la table toutes les notes inutiles. » C’est dire la qualité d’écriture de ses trois quatuors. Le premier et le troisième, enregistrés ici, donnent la mesure d’un accomplissement du niveau de ses illustres prédécesseurs, Haydn, Mozart, Beethoven.
Le Quatuor Artemis, malgré sa relative jeunesse, a subi de multiples transformations sans pour autant perdre une once de sa personnalité. Seul Eckart Runge est resté le violoncelliste de l’ensemble, depuis sa fondation en 1989. Trois premiers violons, trois seconds violons et deux altos se sont succédés au cours des années. Comble de malheur, l’altiste ayant participé à cet enregistrement, Friedemann Weigle, est récemment décédé. Cette parution lui est d’ailleurs dédiée. Les violons actuels sont Vineta Sareika et Gregor Sigl.
L’implication de ces musiciens dans les deux quatuors de Brahms éclate dès les premières mesures de l’opus 51 n° 1, en ut mineur. Une sorte de passion désespérée anime cet Allegro, tenu, comme porté à bout de bras de la première à la dernière note. Tout au long de cette partition vigoureuse et tourmentée, l’alternance des tensions et des détentes, l’incroyable palette des nuances, confèrent à cette interprétation une force implacable. De la pudique confidence de la Romanze au cri de désespoir de l’Allegro final, en passant par l’inquiétude fiévreuse de l’Allegretto, cette exécution empoigne l’auditeur sans le lâcher un instant.
Le même investissement se manifeste dans le 3ème quatuor que la tonalité de si bémol majeur éclaire d’une lumière plus apaisée dès les premières mesures du Vivace initial. Certes, une ombre plane sur l’Andante et le troisième volet alterne agitation et impression nocturne. Une grâce inattendue imprègne le final à variations qui intègre de manière cyclique le motif principal du premier mouvement comme pour l’évocation d’un souvenir touchant.
Décidemment, Artemis occupe une place prédominante sur la scène internationale, pourtant bien pourvue, du quatuor à cordes.