Alors que s’achèvent, dans un triomphe indescriptible et justifié, les reprises du Vaisseau fantôme à l’Opéra national du Capitole, DECCA publie une nouvelle intégrale de ce premier chef-d’œuvre du Maître de Bayreuth. Capté lors de deux représentations publiques et de séances complémentaires entre les 20 et 25 août 2024 à l’Opéra d’Oslo, cet enregistrement est, à l’évidence, fait pour la soprano norvégienne Lise Davidsen. Elle chante ici Senta, un personnage qu’elle n’a pas encore abordé sur scène… Nous connaissons à présent cette cantatrice aux moyens tétralogiques. Elle nous en fait sur cet enregistrement une démonstration ahurissante de puissance, de phrasé, d’homogénéité dans tous les registres, de rondeur dans l’émission. C’est stupéfiant car Lise Davidsen ne se contente pas d’aligner des décibels, aussi victorieux soient-ils. Elle sait également se rappeler qu’à certains moments le compositeur flirte encore (il a 30 ans lorsque cet ouvrage est créé) avec l’univers italien de Donizetti et Bellini. Nous émeut-elle pour autant ? Son timbre fait d’une glace irradiante qui n’est pas sans rappeler celui de Birgit Nilsson (ce qui n’est pas une injure vous en conviendrez !), a du mal à nous faire percevoir la folie dévastatrice qui ronge Senta depuis que Mary lui a chanté l’histoire de ce Hollandais maudit. Cela dit, le rôle est d’une incroyable difficulté vocale et il faut saluer bien bas la performance. A ses côtés, avec le Hollandais du baryton-basse canadien Gerald Finley, nous sommes à l’opposé en terme d’émotion. Autant les couleurs, que les nuances et la musicalité de ce merveilleux mélodiste transpirent la douleur et le désarroi de ce capitaine qui eût l’audace de défier le Ciel. Aujourd’hui au crépuscule d’une extraordinaire carrière, Gerald Finley nous lègue un Hollandais d’une bouleversante humanité. Face à lui, la basse anglaise Brindley Sherratt, compère générationnel, est un Daland au timbre profond, d’une duplicité frôlant une naïveté et un opportunisme composant un personnage complexe. Ces deux clés de fa connaissent leurs rôles de longue date et cela s’entend immédiatement. Le ténor français Stanislas de Barbeyrac s’immisce ici dans un répertoire wagnérien qu’il a bien l’intention de mettre à son actif. Il est un Erik au timbre encore chargé de tout un passé récent bel cantiste et français mais dont la projection et la ligne de chant affirment bien l’appartenance aujourd’hui à un autre univers plus dramatique, si ce n’est héroïque. Ce mois-ci il doit chanter Siegmund à Londres ! Le jeune norvégien Eirik Grotvedt offre son ténor infiniment musical au Pilote dans un luxe de nuances exceptionnel. Le mezzo-contralto hongrois Anna Kissjudit, la benjamine de cet enregistrement, impose quant à elle une Mary aux couleurs abyssales. Il sera très intéressant de suivre cette jeune cantatrice dans des rôles plus exposés.
Sous la direction d’Edward Gardner, l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra national de Norvège se montrent à la hauteur des plus prestigieux enregistrements de cet ouvrage. Attentif à souligner les leitmotivs conduisant cette partition, n’hésitant pas à faire gronder sa phalange dans de tumultueuses envolées, invitant les chœurs à nous faire frissonner dans un dernier acte d’anthologie, Edward Gardner, directeur musical de cet orchestre depuis août 2024, signe une interprétation majeure du Vaisseau fantôme.
Robert Pénavayre
« Der fliegende Holländer » Richard Wagner – DECCA – coffret 2 cds – 24€
