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Permanence et découverte autour de Martha Argerich

Les musiciens au salut. De gauche à droite : Tedi Papavrami, Jing Zhao, Ido Zeev, Martha Argerich et Akane Sakai - Photo Classictoulouse -

Ce concert des Grands Interprètes du 20 décembre devait initialement réunir la grande pianiste argentine et son collègue de longue date, le violoncelliste Mischa Maisky. En l’absence de ce dernier pour raison de santé, Martha Argerich s’est entourée d’amis musiciens dont certains débutent une carrière prometteuse.

Les musiciens qui jouent ce 20 décembre aux côtés de Martha Argerich sont le violoniste Tedi Papavrami, la violoncelliste Jing Zhao et les pianistes Akane Sakaï et Ido Zeev.

La première partie du concert est consacrée à Sergueï Prokofiev. L’œuvre qui ouvre cette soirée est très particulière. Il s’agit de la transcription pour deux pianos, par le pianiste et compositeur japonais Riyaku Terashima, de la Symphonie n° 1 dite « Classique » du compositeur russe. Réalisée à l’intention de Martha Argerich, cette transcription est ici jouée par la dédicataire et la jeune pianiste japonaise Akane Sakai, lauréate du Young Artist Development Program, un prix décerné par le Ministère de la Culture au Japon.

Les deux pianistes de la Symphonie « Classique » : Martha Argerich et Akane Sakai – Photo Classictoulouse –

Certes, si la transcription pianistique réduit considérablement le déploiement des couleurs de l’original orchestral, le caractère percussif de l’œuvre, très présent dans l’écriture de Prokofiev, s’exprime avec vigueur. Les quatre mouvements se succèdent dans l’énergie des échanges entre les deux instruments. Néanmoins, les deux interprètes, apparemment pas complètement satisfaites de leur prestation, reprennent avec le sourire le mouvement final Molto vivace de la symphonie.

La Sonate pour violon et piano n° 2, du même Prokofiev, associe Martha Argerich au grand violoniste d’origine albanaise Tedi Papavrami. Les deux partenaires établissent un dialogue intense dès le Moderato initial. A la suite du diabolique Scherzo, l’inquiétude s’infiltre dans les traits de l’Andante, alors que la tension se libère dans l’Allegro con brio final.

Tedi Papavrami et Martha Argerich – Photo Classictoulouse –

La seconde partie du concert s’ouvre sur une belle découverte. Celle du talent musical impressionnant d’un jeune pianiste et transcripteur israélien de vingt-cinq ans, Ido Zeev. Sans nul doute, un nom à retenir. Son adaptation au style de l’œuvre interprétée constitue l’une de ses qualités premières. Il débute sa prestation avec la Sonate Fantaisie n° 2 d’Alexandre Scriabine qu’il joue sans partition. Son sens des nuances, la beauté de ses phrasés, parfaitement intégrés au style si particulier du compositeur russe, font merveille. Les modulations harmoniques caractéristiques de l’écriture irisent son interprétation et prennent des couleurs ineffables. Les deux volets de l’œuvre, Andante et Presto, témoignent des multiples possibilités expressives de l’interprète.

Le jeune et impressionnant pianiste Ido Zeev – Photo Classictoulouse –

Tout autre apparaît l’œuvre suivante. Ido Zeev en est le transcripteur virtuose. Il s’agit d’un prolongement de la pièce pour violon et piano (ou orchestre) de Maurice Ravel, Tzigane. Le pianiste ne se contente pas de transcrire l’œuvre originale pour le piano seul. Il en réalise une véritable paraphrase à l’instar d’un Franz Liszt reprenant les lieder de Schubert. D’une imagination musicale sans limite, Ido Zeev utilise son clavier dans toute son extension, toutes ses possibilités. La première partie est jouée de la seule main gauche, comme pour ouvrir la voie à un certain concerto du même Ravel… Les pirouettes les plus invraisemblables sont exécutées avec une facilité déconcertante. Elles s’insèrent parfaitement dans la continuité de l’œuvre tout en rendant justice à son invention. Si la performance est spectaculaire, elle n’est pas que cela. Elle reste profondément musicale. Assurément, Ido Zeev est une personnalité à suivre !

A Martha Argerich et Tedi Papavrami vient se joindre la jeune violoncelliste chinoise Jing Zhao pour une interprétation chaleureuse du Trio pour piano, violon et violoncelle n° 1 de Felix Mendelssohn, dernière œuvre inscrite à ce programme. La richesse de son écriture offre aux interprètes les éléments pour en explorer tous les affects. Les trois musiciens réunis établissent une série de dialogues qui caractérisent chacun des quatre volets de cette partition.

Tedi Papavrami, Martha Argerich et Jing Zhao – Photo Classictoulouse –

Ces échanges se manifestent dès le lyrisme juvénile du Molto allegro ed agitato initial. La rêverie poétique de l’Andante con moto tranquillo est admirablement dévoilée, alors que la vivacité du Scherzo ne manque pas d’un certain humour sous les babillages légers des musiciennes et du musicien. Le final Allegro assai appassionato offre une belle démonstration de générosité musicale. Une générosité qui se prolonge dans une réaction touchante de Martha Argerich. Alors qu’elle reçoit un bouquet, comme ses collègues musiciennes, elle en retire quelques fleurs qu’elle offre aux deux musiciens !

L’ovation du public obtient d’abord des interprètes une reprise du final du Trio de Mendelssohn. Puis les trois pianistes de la soirée se serrent devant l’unique clavier pour offrir une version généreuse (à six mains !) d’une Etude de Rachmaninov.

La soirée s’achève dans la joie et la bonne humeur.

Serge Chauzy

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