Grâce à l’association Musique au Palais, les mélomanes de la région toulousaine ont pu assister à la 9ème édition de son festival. Un nouveau week-end musical original et particulièrement riche a ouvert les portes du Palais Niel, lieu mythique et un peu magique, aux mélomanes et autres curieux de Toulouse et d’ailleurs. Les samedi 16 et dimanche 17 novembre, un public nombreux et heureux a ainsi pu assister à pas moins de six concerts dans le grand salon, QG de l’armée de Terre et siège de la 11ème brigade parachutiste, au cœur de la ville.
Pour cette 9ème édition, le Festival Musique au Palais a réuni des artistes professionnels confirmés et de jeunes talents à découvrir. Comme le rappelle dès son ouverture le général Claude Reglat, cet événement est organisé au bénéfice d’associations caritatives, Terre Fraternité et Entraide Parachutistes qui contribuent à l’accompagnement des blessés, de leurs proches ainsi que des familles des disparus en service de l’armée de terre et des parachutistes. Les recettes de ce Festival seront donc offertes à ces deux associations auxquelles chacun peut également faire un don.
Ainsi que le proclame Serge Krichewsky, le Directeur artistique de la manifestation, le thème choisi qui relie les programmes du week-end, « Lumières sur l’Ecole de Vienne », rend hommage aux compositeurs du classicisme musical en lien avec la capitale autrichienne. De la fin du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle les compositeurs majeurs de cette période ne sont autres que Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart et Ludwig van Beethoven.
En outre, chacun des six concerts programmés développe sa propre thématique et associe des œuvres et des compositeurs qui possèdent de profondes affinités électives.
Les concerts du samedi 16 novembre
* 14 h 30 : Sonates, duos, quatuor — Le premier des trois programmes de l’après-midi s’intéresse aux formes musicales essentielles de cette période. Ce thème est confié à un groupe de jeunes musiciens dont la plupart d’entre eux n’ont pas encore vingt ans ! Leo-Maxime Fabris, piano, Louna Hienly-Carbonnell, violon, Sixtine Le Goff, alto, Antoine Molines, violoncelle, et Victoria Creighton, flûte, animent un programme varié et divers.
La Sonate n° 5 pour violoncelle et piano de Beethoven bénéficie de la vigueur juvénile de ses interprètes qui en soulignent néanmoins le chant élégiaque de l’Adagio. L’ironique légèreté du Duo avec deux lunettes obligées pour alto et violoncelle, de Beethoven, ouvre la voie au Rondo de la Sonate pour alto et piano de Johan Nepomuk Hummel, contemporain et rival de Beethoven, joué ici avec une joie assumée.
Le Quatuor pour flûte, violon, alto et violoncelle n° 1, de Mozart, met en évidence la belle sonorité et le grand talent de la flûtiste Victoria Creighton qui mêle grâce et finesse d’esprit au soutien de ses collègues.
* 16 h 30 : Piano I – La session du milieu de l’après-midi se consacre donc essentiellement au piano, considéré comme l’instrument roi de la période. Constant Despres, déjà présent en ces lieux à l’âge de douze ans, et Vincent Martinet, un habitué du festival, se succèdent au clavier. Le premier exprime toute la profondeur tragique de la Fantaisie en ré mineur KV 397, de Mozart. Le même Constant Despres engage ensuite sa ferveur dans une interprétation forte de la fameuse Sonate n° 26, « Les Adieux », de Beethoven. Ceci malgré des conditions difficiles dues à l’agitation bruyante de jeunes spectateurs. Le mérite n’en est que plus grand !
De son côté, Vincent Martinet déploie son jeu dense et brillamment polyphonique dans la Sonate Hob XVI/46 de Haydn, puis dans la Sonate n° 1 en fa mineur, de Beethoven, dont il souligne l’aspect volontaire et même percussif dans l’impressionnant Prestissimo final.
Entre les deux prestations pianistiques, Louna Hienly-Carbonnell, violon, et Sixtine Le Goff, alto, offrent un intermède équilibré et riche d’échanges, avec le premier mouvement du Duo pour violon et alto n° 2 KV 424, de Mozart.
* 18 h 30 : Quatuor du Capitole – La session finale de ce samedi est donc confiée au Quatuor à cordes de musiciens de grands talents que l’on connaît bien à Toulouse pour leurs positions stratégiques au sein de notre bel Orchestre national. Kristi Gjezi, violon supersoliste, Eléonore Epp, violon, Laura Ensminger, alto, et Sarah Iancu, violoncelle, réalisent ce soir-là une performance stupéfiante ! La cohésion et la précision exemplaires de leur jeu donnent parfois l’impression d’entendre un instrument à seize cordes, joué par un seul musicien ! L’équilibre sonore de l’ensemble touche à la perfection. Et néanmoins les épisodes d’échanges, de questions-réponses restent d’une étonnante vitalité.
L’Adagio et fugue en ré mineur KV 546, de Mozart sonne ici comme une fresque héroïque d’une intensité bouleversante. Quant au Quatuor à cordes Hob III/74 dit « Le Cavalier », de Haydn, sa précieuse architecture se construit dans une irrésistible ascension : des premières mesures rythmées comme dans la célèbre symphonie n° 83 dite « La Poule », vers la lumière du Vivace final.
Le Quatuor n° 9 en ut majeur, de Beethoven, le dernier des trois Quatuors dédiés à Haydn, résonne enfin ici comme une apothéose. Chaque note, chaque accord, chaque thème trouve sa place dans le déferlement des affects. De l’Andante introductif jusqu’à l’Allegro molto final, l’interprétation trouve une sorte de chemin aussi bien mélodique que rythmique parfaitement balisé. La fugue finale évoque une ascension vers un paradis de lumière.
Le triomphe légitime qui accueille cette prestation incite les musiciens à reprendre cette fugue avec la même intense ferveur. Un grand moment !
Les concerts du dimanche 17 novembre
Cet après-midi-là, trois autres rencontres très variées attendaient les spectateurs toujours aussi nombreux de ce festival hors norme.
* 14 h 30 : Trio Montecristo – Le premier concert de ce dimanche s’ouvre sur une prestation de très haut niveau du jeune ensemble portant le nom original de Trio Montecristo. Créé en 2022, ce trio, formé par la violoniste Marie-Astrid Hulot, le violoncelliste Jean-Baptiste Maizières et le pianiste Vincent Martinet est né de la rencontre de ces trois musiciens à la fin de leurs études au CNSM de Paris. Ils présentent à Musique au Palais un programme qui ajoute le nom de Franz Schubert à ceux, plus habituels de l’Ecole de Vienne, de Joseph Haydn et Ludwig van Beethoven. Non seulement chacun des trois musiciens déploie un art accompli, mais ils forment avant tout un « vrai trio », une sorte d’instrument complet et non la juxtaposition de trois talents distincts.
Dans le Trio n° 39 Hob. XV/25, dit « Tzigane », de Haydn, l’ensemble uni passe aisément du sourire de l’Andante initial, à l’effervescence du final, un Rondo all’Ongarese plus vrai que nature, sans rien négliger du chant du Poco adagio.
Le Trio op. 70 n° 1, baptisé « Les Esprits », de Beethoven, cœur vibrant de ce concert, exalte tout d’abord un Allegro vivace e con brio passionné avant de déployer le mystère inquiétant du Largo assai ed espressivo qui lui a donné son sous-titre.
Enfin, le rêve héroïque du touchant Notturno D. 897, de Schubert, émeut autant qu’il séduit par le raffinement du jeu des interprètes.
* 16 h 30 : Piano II – Le concert central de ce dimanche redonne la parole à l’instrument fétiche de la période. Comme l’indique Serge Krichewsky dans sa présentation, le pianiste Laurent Molines, qui ouvre cette session, remplace Ariel Sirat, initialement prévu et qu’un contretemps a obligé à renoncer. Conservant le même programme, Laurent Molines aborde avec une vigueur toute volontaire la célèbre Sonate en ut majeur KV 330 de Mozart. Il joue ensuite la Sonate op. 78 dite « A Thérèse », puis les 32 Variations en ut mineur, de Beethoven, avec la même autorité conquérante.
François Schwarzentruber, un habitué de Musique au Palais, lui succède dans un programme bien dans l’esprit et la lettre du thème général. Légèreté et fantaisie de son jeu animent les Bagatelles n° 1, 2, 5 et 7 de l’opus 33 de Beethoven. Le Rondo en la mineur KV 511, de Mozart cache à peine sa tristesse, alors que la Sonate HB XVI/52, de Haydn, marque un retour vers la fantaisie et même l’humour propres au compositeur.
* 18 h 30 : Récital de mélodies et airs d’opéra – Le dernier rendez-vous de ce 9ème festival donne la parole à… la voix humaine ! Deux personnalités unies à la ville comme à la scène abordent quelques exemples des multiples productions vocales de cette période : le baryton Philippe Estèphe et la soprano Clémence Garcia. Mozart, Haydn, Beethoven et même Schubert ont investi le monde mélodique du chant lyrique. Les deux complices sont accompagnés avec un talent d’exception par la pianiste Eloise Urbain.
Philippe Estèphe explore la longue liste des huit lieder de Beethoven inscrits au programme qu’il aborde de sa belle voix bien timbrée de baryton, aussi sonore qu’expressive. Le premier de ces lieder, Adelaïde, donne le ton volontaire mais parfaitement nuancé de ses interprétations.
En alternance avec Philippe Estèphe, la lumineuse soprano Clémence Garcia aborde avec musicalité le monde raffiné du chant mozartien. Parmi les mélodies les plus tendres du compositeur, on admire tout particulièrement la très poétique Abendempfindung (Impression du soir) et la seule sur un texte français, Dans un bois solitaire et sombre. La soprano détaille également le seul lied de Schubert inscrit au programme, le sublime Im Frühling (Au printemps).
Philippe Estèphe explore enfin avec gourmandise les principales interventions du personnage de Papageno de La Flûte Enchantée, de Mozart. Il est bientôt rejoint par sa Papagena idéale, Clémence Garcia. Ce badinage musical chanté et joué avec malice par les deux interprètes est repris musicalement par le violoncelle d’Antoine Molines et le piano d’Eloise Urbain dans une exécution joyeuse des Variations op. 66 composées par Beethoven sur le thème « Ein Mädchen oder Weibchen » de La Flûte Enchantée.
Le grand succès obtenu par cette ultime séquence motive les deux partenaires qui chantent avec conviction le fameux duo extrait du Don Giovanni de Mozart : « Là ci darem la mano ».
Ce dernier épisode de Musique au Palais marque la réussite incontestable de ce 9ème festival. Vive la 10ème édition !
Serge Chauzy