Danse

BALLET NATIONAL DU CAPITOLE – Sémiramis et Don Juan, ou la modernité de Gluck.

Angel Rodriguez – Edward Clug – Jordi Savall

L’ouverture de la saison de ballet du Théâtre National du Capitole se fera en compagnie de Christoph Willibald Gluck sous la baguette de Jordi Savall dirigeant le Concert des Nations et la création contemporaine de deux ballets : Sémiramis et Don Juan.

Christoph Willibald Gluck, esprit novateur passionné de danse et épris de réformes, va œuvrer, sa vie durant, pour que le ballet sorte enfin de son rôle de divertissement et devienne une œuvre autonome, dont l’expressivité est l’atout majeur. Il n’est pas le seul à souhaiter cette nouvelle vision du Ballet, dans ce XVIIIe siècle amateur d’opéras et de danse. En France, Jean-Georges Noverre publie en 1760 ses Lettres sur la danse et les ballets. Considéré comme le créateur du ballet d’action, Gluck rencontre le chorégraphe français à Dresde, avant de s’installer à Vienne. Le compositeur va alors se livrer à des expériences audacieuses grâce à deux autres artistes : le librettiste Ranieri de Cazalbigi et le chorégraphe Gasparo Angiolini.

Et, s’il est plus habituel de voir le nom de Gluck associé à des opéras comme Iphigénie en Aulide, Orphée et Eurydice, Armidi ou encore Iphigénie en Tauride, il faut également associé son nom à une dizaine de ballets dont, hélas, la musique de certains d’entre eux a été perdue. Et en particulier Don Juan ou le Festin de Pierre, créé à Vienne en octobre 1761, et Sémiramis, créé également à Vienne en janvier 1765.

Le premier Don Juan apparaît sous la plume de l’un des grands dramaturges espagnols du Siècle d’Or : Tirso de Molina. El burlador de Sevilla y convidado de piedra est imprimé et joué à Séville en 1630. Texte fondateur, il sera la première œuvre littéraire d’où naîtra le mythe de Don Juan. Depuis, nombreux sont les auteurs et compositeurs inspirés par le personnage : de Molière à Mozart, de Goldoni à Pouchkine, ou encore de Baudelaire à Montherlant.

Considéré comme le manifeste du ballet-pantomime ou ballet d’action, c’est bien évidemment à Gasparo Angiolini qu’est confié la chorégraphie. Ce premier ballet sera le point de départ pour de nouveaux genres scéniques, mais également celui de la réforme musicale accomplie par Gluck.

En 1765, le trio se retrouve pour la création de Sémiramis.  Ce ballet est considéré comme le premier ballet pantomime tragique. Fondatrice de Babylone selon la légende, Sémiramis, abandonnée par sa mère, fut élevée par des colombes. Reine guerrière, remarquable par sa beauté et son intelligence, elle part en guerre contre de nombreux peuples du bassin méditerranéen. A la mort de son époux Ninos, elle lui succède pour un règne de 42 ans. Rentrant d’une campagne en Inde et découvrant que ses fils conspirent à sa perte, après avoir confié le pouvoir à son fils aîné, elle se transforme en colombe et s’envole, entourée d’une nuée d’oiseaux. Sa vie fut une succession d’évènements dramatiques : assassinat, inceste, matricide, suicide. Toutes choses qui divisèrent la critique lors de sa création. Comme Don Juan, Sémiramis inspira compositeurs et auteurs tout au long de l’histoire : de Crébillon à Voltaire, de Louise Labé à Amin Maalouf et de Métastase à Meyerbeer, ou encore Rossini.

Le désir d’évoquer ces deux figures légendaires est venu de Jordi Savall. Enregistrant ces deux œuvres, qu’il considère comme un pont entre la baroque et le classicisme, il souligne que « c’est une musique foncièrement dramatique , capable de raconter- comme l’opéra, mais sans texte !- toute une histoire dans ses moindres détails ». Le projet est né d’une conversation avec Christophe Gristi (directeur artistique de l’Opéra National du Capitole) à propos de cette musique idéale pour la danse. Et pourquoi pas le Ballet du Capitole, qui a déjà à son répertoire le magnifique Por Vos Muero de Nacho Duato, dont Jordi Savall assurait la partie musicale avec la Capeia Reial de Catalunya.

Répétition de Sémiramis avec Angel Rodriguez – Sofia Caminiti – Ramiro Gomez Samon –  ©Jérémy Leydier

Pour cette nouvelle création si contemporaine sur des musiques baroques, Jordi Savall déclare : « De toute façon, toute la musique renaissance, baroque et même encore classique est structurée à partir de l’idée et de la pratique de la danse, c’est fondamental. C’est pourquoi la danse contemporaine peut se marier merveilleusement avec la musique ancienne, et je suis convaincu que ce sera également le cas pour Don Juan et Sémiramis ».

C’est donc à deux chorégraphes très contemporains qu’a été confiée la mise en pas des œuvres de Gluck. Ángel Rodríguez signera la chorégraphie de Sémiramis. D’abord danseur formé à l’Ecole du ballet Classique National de Madrid que dirigeait Carmen Roche. Il entre ensuite dans la Compagnie de Victor Ullate, avant d’intégrer le ballet du Grand Théâtre de Genève. En 1992 il est engagé dans la Compañía Nacional de Danza dirigée par Nacho Duato. Il y créera ses premières chorégraphies. Il est désormais chorégraphe international et professeur, et en 2016, il crée Thousands of Thoughts pour le Ballet du Capitole. Pour Sémiramis, il considère qu’il s’agit d’un défi. Il a choisi d’étudier le personnage en le ramenant à notre époque, en parlant de l’essence féminine. Il en explicite sa vision dans ces termes : « Femme réelle, femme imaginée, femme créée, femme tissée avec les métiers à tisser de la vie et qui défend son pouvoir et sa beauté en luttant à travers le temps. … Je pense aux femmes fortes, aux femmes mères, aux femmes filles, aux femmes sœurs, aux femmes compagnes, aux femmes… à toutes les femmes du passé, du présent et l’avenir. »

Répétition de Don Juan avec Edward Clug – Natalia de Froberville – Kayo Nakazato – Sofia Caminiti – ©Jérémy Leydier

C’est Edward Clug qui illustrera la figure de Don Juan. Danseur et chorégraphe roumain il est directeur artistique du Théâtre National Slovène de Maribor depuis 2003. Il crée sa première chorégraphie, Babylon, en 1996. En tant que chorégraphe il collabore avec de nombreuses compagnies de par le monde : Ballets de Stuttgart, de Zurich, du BolchoÏ, de Flandres… L’une de ses œuvres la plus célèbre est Radio & Juliet (2005), une relecture de Roméo et Juliette. Il a été lauréat de plusieurs prix nationaux et internationaux , et a été nominé, en 2017, au prestigieux Benois de la Danse pour sa pièce Handmar, pour le Nederlands Dance Theater. C’est la première fois que le Ballet du Capitole l’accueille. Son approche de Don Juan est la suivante : « Le mythe de Don Juan persiste dans notre paysage social et culturel et a toujours été une source d’inspiration pour les artistes de différents domaines, y compris moi-même.

Je m’imagine dépeindre le monde de Gluck avec ma propre compréhension et ma propre vision de « l’infâme fâcheux » protagoniste dans une allégorie dansée qui fera le lien entre l’action visuelle et l’interprétation unique par Jordi Savall de ce chef d’œuvre musical ».

Car l’autre formidable artiste de cette soirée, c’est bien Jordi Savall, que l’on ne présente plus, tant ses apportassions à la musique ancienne et baroque sont remarquables. Il sera dans la fosse en compagnie des musiciens du Concert des Nations, qui donnera en ouverture de la soirée la suite d’orchestre d’Iphigénie en Aulide. Ainsi seront comblés les amateurs de danse et de musique. Ces deux créations chorégraphiques et la présence de Jordi Savall font de cette ouverture de saison un évènement exceptionnel.

Ce spectacle est une co-production avec le Théâtre National de l’Opéra-Comique et la Fundació del Gran Teatre del Liceu.

                                                                                                                                              Annie Rodriguez

24, 25, 29 et 30 octobre à 20h – 26 et 27 octobre à 14h30 au Théâtre du Capitole

Autour des œuvres :

Samedi 19 octobre à 16h30 : conférence de Julien Garde – Foyer Mady Mesplé- Théâtre du Capitole.

Samedi 19 octobre à 17h45 : répétition ouverte- Théâtre du Capitole

Dimanche 20 octobre à 12h15 : cours public. Théâtre du Capitole

Dimanche 20 octobre à 15h : atelier danse. Foyer Mady Mesplé- Théâtre du Capitole. (sur inscription)

SÉMIRAMIS ET DON JUAN EN TOURNÉE BARCELONE : du 23 au 29 mars 2025 – Gran Téatre del Liceu PARIS : du 24 au 28 mai 2025 – Opéra-Comique

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