La reprise de Nabucco, troisième opéra de Giuseppe Verdi, un compositeur de 29 ans promis à l’immortalité, ouvre la saison 24/25 du Théâtre du Capitole. Et tant qu’à faire se solde en ce soir de première du 24 septembre 2024 par un triomphe retentissant. Tout est encore une fois réuni par Christophe Ghristi pour faire des spectacles capitolins des rendez-vous précieux entre tous et frappés du sceau d’une originalité excitante et d’un professionnalisme sans faille.
Stefano Poda et Giacomo Sagripanti, les maîtres d’œuvre
Dès les premiers accords de l’andante ouvrant cet opéra, nous parvient dans un piano maestoso une respiration et une vibration qui vont rapidement exploser en un tutti installant définitivement l’alpha et l’oméga de cette partition bouillonnante. Le feu, le sang, la passion, la foi et la folie vont s’entrecroiser tout au long de cette soirée en des élans et des combats d’une irrépressible tension. Giacomo Sagripanti a, dans la fosse, l’un des meilleurs orchestres d’Europe. Il le sait et le connaît bien pour l’avoir dirigé une première fois en janvier 2019 lors de l’entrée au répertoire du Capitole de la Lucrezia Borgia de Gaetano Donizetti. Cet immense spécialiste du répertoire transalpin s’empare de cette partition avec une fougue communicative si l’on en croit la réponse que lui font des musiciens littéralement survoltés. Des cordes prodigieuses d’intensité (ah, le prélude à la prière de Zaccaria, quel moment !), des bois et des cuivres d’une précision hallucinante, la fougue du Risorgimento en même temps que les prémices des plus belles cantilènes de ce génie alors en devenir. Le public a largement plébiscité leur interprétation par une salve nourrie d’applaudissements. Reconnaissons que face à lui, le maestro a de quoi le motiver.
En effet, la production, intégralement signée Stefano Poda, est de celles qui ne peuvent que fasciner. Le Capitole l’a déjà invité pour Ariane et Barbe-Bleue, de Paul Dukas, puis pour la Rusalka d’Antonin Dvorak, deux spectacles salués par une presse unanime. Magicien des lumières, décorateur et costumier d’une ineffable élégance, metteur en scène d’une redoutable efficacité, chorégraphe également, Stefano Poda transforme cet opéra un brin « sauvage » en une longue marche spirituelle vers un avenir apaisé et rédempteur. Construisant avec le concours d’une quinzaine de danseurs/acrobates de véritables sculptures organiques amplifiant l’action tout en donnant un relief parfois inattendu aux protagonistes, sa direction d’acteur est sobre, attentive à ne pas ajouter à une partition à maints endroits périlleuse pour les chanteurs. Seul bémol, il est parfois délicat de discerner les solistes sur scène car les costumes, magnifiques, se ressemblent beaucoup de même que les perruques. Ceci étant, il n’est rien de dire combien le public espère avec impatience le retour de cet artiste accompli dont le seul nom aujourd’hui met des étoiles dans les yeux des mélomanes.
Et les chanteurs alors ?
Au premier rang de ceux-ci : le Chœur de l’Opéra national du Capitole. Nous le connaissons depuis longtemps, toujours fidèle aux grands rendez-vous de cette maison. Sous la direction de Gabriel Bourgoin, dès la page d’ouverture de l’œuvre, il nous assène un direct sonore littéralement foudroyant. Puissance, cohésion des pupitres, couleurs, émotion (Ah, ce Va, pensiero !!!), rondeur, musicalité, un véritable festival. Il faut dire que Giuseppe Verdi en a fait le protagoniste principal de son ouvrage. Stefano Poda en profite pour le mettre en scène, créant de facto ce personnage tour à tour paniqué par l’attaque assyrienne, priant sur les bords de l’Euphrate, résigné mais aussi, sous l’impulsion de Zaccaria, se relevant fièrement pour affronter son destin. Une prestation qui restera dans la mémoire de l’illustre maison.
Christophe Ghristi le sait mieux que quiconque, il n’y a pas à l’opéra de petits rôles. C’est ainsi qu’il a invité l’imposant ténor Emmanuel Hasler pour le rôle d’Abdallo, ce vieil officier fidèle jusqu’au bout à Nabucco, Cristina Giannelli campe de son soprano lumineux Anna, l’émouvante sœur de Zaccaria, le Grand Prêtre de Baal nous fait découvrir la basse Blaise Malaba dont le timbre cuivré et ténébreux et la puissante projection font entendre à l’évidence d’autres rôles ! Autre découverte et pas des moindres, la mezzo-soprano Irina Sherazadishvili nous offre une Fenena d’un luxe inouï : richesse du timbre, projection, phrasé, nuances. Dommage que le rôle soit si court !
Le ténor Jean-François Borras ne fait qu’une bouchée, gourmande, du rôle d’Ismaele. La rondeur et la sûreté de son émission et son timbre clair tracent ici encore un portrait superlatif de ce personnage n’ayant à l’évidence que peu inspiré le compositeur.
Trio majeur sur ses sommets
En abordant, après beaucoup d’hésitations, le rôle de Zaccaria dans cette coproduction avec l’Opéra de Lausanne au printemps dernier, Nicolas Courjal avait parfaitement évalué l’infernal ambitus que le compositeur a réservé à son interprète de la création en 1842, le français Prosper Dérivis qui chanta au Capitole dans les années 60 du 19e siècle. Fort d’une voix particulièrement longue, Nicolas Courjal s’est lancé dans l’aventure. Et il a bien fait. Son creux impressionnant campe idéalement la posture de ce prophète-guerrier, le seul opposant à Nabucco. Mais si les graves sonnent à la perfection, il en est de même tout le long de la tessiture requise, jusqu’aux meurtriers fa dièse aigus dans la Prophétie. Et comment ne pas souligner la magnifique ligne de chant dont il orne sa prière dans L’Impie. Du grand art !
Yolanda Auyanet chantait ce soir sa première Abigaille, autre rôle dément qui valut à sa créatrice et future épouse du compositeur… de perdre sa voix ! La soprano espagnole l‘aborde sans économie aucune. Son lirico-spinto répond à toutes les sollicitations de cette partition, affrontant les sauts de deux octaves avec une franchise renversante d’autorité. La voix est longue, les aigus d’airain, mais la cantatrice sait aussi plier son instrument à un cantabile plein de nuances et nourri de musicalité. Une belle prise de rôle. Enfin, Nabucco revenait à Gezim Myshketa, un baryton au timbre automnal, puissamment projeté et faisant honneur à ce legato naissant qui deviendra la marque de fabrique de Giuseppe Verdi.
Une seconde distribution se présente en alternance à partir du jeudi 26 septembre. L’impatience est grande. Nous nous retrouverons dans ces mêmes colonnes pour en parler.
Robert Pénavayre
Crédit photos : Mirco Magliocca.
Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr
Représentations jusqu’au 8 octobre 2024