Les reprises d’Idomeneo au Théâtre du Capitole, dans le cadre d’une coproduction avec le festival d’Aix en Provence, nous font entendre un Mozart de 25 ans s’aventurant sur des terrains d’avenir qui conduiront au drame musical.
Passons rapidement sur la production japonisante, et comment en serait-il autrement puisqu’elle est signée Satoshi Miyagi (mise en scène), Jumpei Kiz (scénographie), Kayo Takahashi Deschene (costumes), Yukiko Yoshimoto (lumières) et Akiko Kitamura (chorégraphie). Pour absconse qu’elle soit pour le commun du spectateur, mais l’Empire du Soleil levant est-il vraiment accessible aux Occidentaux (?), cette production ne méritait pas l’accueil très mitigé qu’elle a reçu au rideau final. Tout d’abord elle est esthétiquement somptueuse. De plus, elle donne à la mise en scène un aspect hiératique qui fait écho avec celui de la tragédie antique. Venons-en à l’essentiel. Car, si le drame sur scène est peu visible, par contre, dans la fosse il est aveuglant. Grâce à un Orchestre du Capitole dans ses grands jours, Michele Spotti peut à loisir et à foison pétrir cette musique à plus d’un moment complétement nouvelle, d’une modernité affolante au point même que Mozart ne prolongera pas certaines expériences initiées avec cet ouvrage. Isolant au besoin les pupitres afin de souligner tel ou tel leitmotiv, Michele Spotti donne chair et humanité à cet opéra dont il fouette ou caresse la partition, démontrant de façon irréfutable sa véritable valeur, à l’encontre d’autres approches informées le confinant dans des modèles surannés. Et dans tous les cas que nos oreilles d’aujourd’hui ne veulent plus entendre. En donnant simplement du sens à chaque note, Michele Spotti nous prouve l’universalité d’un génie propre à se fondre dans l’éternité.
Quatre ténors, sinon rien !
L’ouvrage réclame quatre ténors. Ce qui est déjà un challenge en soi, mais franchissable. Ce qui est plus compliqué assurément est que chacun d’eux doit posséder des qualités de timbre bien… différentes ! Le problème devient plus complexe. La distribution que nous propose Christophe Ghristi résout l’équation au superlatif !
A tout seigneur… Le public du Capitole découvre aujourd’hui le ténor américain Ian Koziara. Son imposante stature convient parfaitement au rôle-titre, de même que sa voix dans laquelle résonnent avec une rondeur apaisante un timbre, une ampleur et un ambitus quasi wagnériens. Cela ne l’empêche pas d’affronter le terrifiant Fuor del mar avec une autorité stylistique irréprochable. Son fils Idamante est en prise de rôle, tout comme d‘ailleurs la suite de la distribution. C’est à Cyrille Dubois qu’échoit ce merveilleux personnage, souvent chanté (?) par des mezzo-sopranos. Quel bonheur que d’entendre ici un ténor. Et quel ténor ! Déjà physiquement, Cyrille Dubois trace le portrait d’un être sensible, jeune, amoureux mais convaincu de son devoir. Tout cela, l’artiste, car il en est un, le traduit dans son chant et les multiples couleurs dont il le pare, les dynamiques qu’il lui affecte. Styliste de grand talent, technicien accompli, il va inclure dans toutes les reprises de ses arias une infinité de variations stratosphériques, vertigineuses autant dans la virtuosité que dans la tessiture. Comme un hommage au castrat Vincenzo Del Prato qui créa ce rôle. Qui ne se souviendra de son Rondo No temer amato bene avec le violon obligé de Kristi Cjezi (premier violon solo de l’Orchestre national du Capitole). Un moment inoubliable ! Un grand Idamante est né, assurément.
Autre bonheur, la partition ici retenue donne toute sa place au confident Arbace. C’est d’autant mieux venu, mais ce n’est peut-être pas un hasard, que l’interprète de ce rôle n’est autre que le jeune ténor tchèque Petr Nekoranec. Ses deux arias : Se il tue duol au deuxième acte, et sa grande scène du dernier acte : Se colà ne’ fati è scritto, précédée du somptueux récitatif Sventurata Sidon !, qui n’est pas sans nous rappeler celui de Norma avant le Casta Diva, sont deux moments d’exception démontrant la haute maîtrise technique de ce chanteur, sa sensibilité aussi mise au service d’un personnage secondaire auquel il donne un poids inhabituel. Quatrième ténor enfin, le Croate Krsimir Spicer impose un organe cuivré, puissant, idéal pour personnifier le Grand Prêtre. Seule clé de fa de cette partition, la courte intervention (La Voix) de Julien Véronèse nous rappelle le beau timbre de ce baryton-basse.
La parité dans Idomeneo ? Pas vraiment !
Aujourd’hui Mozart aurait du mal avec la parité. En effet, sur 7 rôles, deux seulement reviennent à des sopranos. On ne refait pas, heureusement, l’Histoire ! Marie Perbost se lance ici dans le rôle le plus long de sa jeune carrière, celui d’Ilia, la princesse troyenne amoureuse de son geôlier Idamante. Au fur et à mesure de la soirée, sa voix va s’affermir, contrôlant au mieux la situation pour le moins acrobatique qu’exige cette production de tous les chanteurs. Ceux-ci sont juchés sur des plots mouvants, équipés de garde-fous auxquels les artistes ont maintes fois recours… Cette prise de rôle est concluante. La soprano maitrise l’écriture virtuose d’un emploi qu’elle pare d’une infinie musicalité et d’une grande émotion. Face à elle, l’Elettra d’Andreea Soare se révèle la digne et grande sœur de son homologue straussienne. Monumentale dans ses deux arias « de furie » : Tutte nel cor vi sento et la volcanique D’Oreste , d’Aiace qui n’est pas sans rappeler les imprécations d’Ortrud dans le Lohengrin wagnérien, la cantatrice roumaine s’engage corps et âme dans ce personnage torturé ne trouvant qu’un seul et magnifique moment de répit avec l’aria Idol mio, si ritroso, superbement phrasé et vibrant d’émotion.
La partie chorale, la plus importante de tout le corpus lyrique de Mozart, est interprétée par le Chœur de chambre Les éléments, la phalange capitoline étant retenue au Théâtre des Champs Elysées pour Boris Godounov. Sous la direction de Joel Suhubiette, il est l’une des composantes essentielles du succès de ces représentations.
Idomeneo ressuscité ? Certainement !
Robert Pénavayre
Théâtre du Capitole
Représentations jusqu’au 7 mars
Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr
Crédit photo : Mirco Magliocca