En invitant le ténor argentin Marcelo Alvarez pour un récital au Théâtre du Capitole, Christophe Ghristi boucle une aventure commencée par l’un de ses prédécesseurs : Nicolas Joel. C’est en effet alors qu’il était directeur de l’illustre théâtre toulousain que Nicolas Joel faisait débuter en France un jeune ténor qu’il avait découvert à Istanbul en 1995 lors du Concours de chant Leila Gencer. Nous sommes le 14 juin 1997 lorsque Marcelo Alvarez fait son entrée sur scène dans Le Duc de Mantoue (Rigoletto – Giuseppe Verdi), un rôle qu’il chantait seulement pour la deuxième fois. L’artiste a 35 ans et déjà conduit sa carrière de manière très naturelle, en fonction de l’évolution physiologique de sa voix. Cette précaution va l’emmener sur les plus grandes scènes et les plus prestigieux festivals de la planète pendant des dizaines d’années. Le Capitole le retrouvera pour une Lucia di Lammermoor d’anthologie, puis Werther, L’Elixir d’amour et, en 2007, Carmen. Lors de sa venue pour Rigoletto, Marcelo Alvarez m’avait accordé un entretien dont je me souviens de mots importants : Il ne faut jamais oublier la dimension humaine de notre métier. Je crois que l’on chante parce que l’on a quelque chose à transmettre, quelque chose que l’on a en soi. Oublier cette face de notre métier revient à en ignorer la partie la plus noble .
Ce qui paraît un trop long préambule à l’article-critique du récital de Marcelo Alvarez sur la scène du Capitole en ce 1er février 2024 en est l’essence même et résume en fait l’engagement de l’artiste face à son art et à son public. Alors qu’il peut regarder avec fierté ses trente années de carrière, Marcelo Alvarez continue malgré tout de « payer comptant ». Au mépris aujourd’hui des plus simples précautions… Pas question pour lui de revenir au Capitole, ce théâtre, comme il nous le dit ce soir, qui a lancé sa carrière, avec trois bouts de mélodies aussi savantes soient-elles. Non, il revient avec des grands airs d’opéra : Le Cid de Jules Massenet, Carmen de Georges Bizet, Giulietta e Romeo de Riccardo Zandonai et Tosca de Giacomo Puccini. Passé l’entracte, la zarzuela fait son apparition : Maravilla de Federico Moreno Torroba, La tabernera del puerto de Pablo Sorozabal, enfin, puisqu’il faut sacrifier à la coutume, deux airs napolitains : Non ti scordar di me (Ernesto de Curtis) et Core n’grato (Salvatore Cardillo). C’est déjà un beau programme. Et le public de se demander comment Marcelo Alvarez tient encore debout car, depuis le début, on le sent nerveux, anxieux. Il fait appel à toute sa technique pour arriver à bout de la séquence opéra alors que le souffle se cherche parfois, alors qu’il est obligé de s’hydrater très souvent la gorge. Il a laissé le soin à son pianiste, le merveilleux et précieux complice Giulio Laguzzi, d’alterner de nombreuses séquences en solo, il en jouera six dont une Rêverie signée Alfredo Catalani totalement magique. Mais plus la soirée s’avance et plus la voix du ténor… s’affermit ! Le souffle est à présent maîtrisé, les aigus plus dardés, la ligne de chant plus souple et les nuances plus nombreuses. Le public n’est pas rassasié. Il en redemande à grand renfort de bravos et d’applaudissements. Au bout du bout, Marcelo Alvarez revient pour une troisième partie qui nous amène dans un barrio sur des rythmes de tango accompagnés par le piano rejoint par le bandonéon de Francesco Bruno. On croyait le ténor fini. Il est en train de renaitre sur les rythmes de son Argentine natale. Et c’est un triomphe. Standing ovation. Chantant comme si c’était la dernière fois de sa vie, Marcelo Alvarez va au-delà de lui-même, dans cette zone inaccessible au commun des mortels. Seuls les grands artistes la fréquentent. Pour notre plus grand bonheur.
Robert Pénavayre