Native d’Alesund, sur la côte ouest du sud norvégien, la soprano Elisabeth Teige a tôt fait d’être repérée par les plus importantes maisons lyriques du monde. Après des études à l’Académie nationale d’opéra d’Oslo, elle fait des débuts remarqués dans des rôles pucciniens (Tosca, Cio Cio San, Turandot) et wagnériens (Irène, Brünnhilde de Siegfried). Aujourd’hui les plus grandes scènes de la planète se l’arrachent, Bayreuth inclus. Christophe Ghristi l’a convaincue de prendre le rôle de L’Impératrice de La Femme sans ombre de Richard Strauss à l’Opéra national du Capitole. Il fait des envieux certes mais c’est pour le plus grand bonheur du public toulousain. Et l’Histoire de l’institution qu’il dirige.
Rencontre.
Classictoulouse : Le rôle de l’Impératrice est assurément l’un des plus beaux de tout le répertoire, vocalement et dramatiquement.
Elisabeth Teige : Cela faisait plusieurs années que j’entendais dire que L’Impératrice était un rôle pour moi et que je devais l’étudier. Mais on n’aborde pas un rôle comme celui-ci sans se soucier de ses objectifs personnels. Au bout d’un moment, je me suis dit « qu’est-ce que cette musique a de si beau ? ». J’en ris maintenant puisque bien sûr ces personnes avaient raison ! Mais je suis heureuse de n’avoir pas étudié ce rôle jusqu’à présent car je ne pense pas que j’étais prête avant.
Ce rôle réclame à la fois un large ambitus qui s’aventure jusqu’au contre-ré, passe beaucoup de temps sur la tierce aiguë, réclame une belle souplesse vocale avec des vocalises et nécessite une puissance de projection très wagnérienne. Il semble ne pas avoir d’équivalent en termes de difficultés.
Je suis entièrement d’accord. On dirait presque que Strauss avait deux types de soprano en tête lorsqu’il a écrit ce rôle. Au début il faut être un peu habile et ne pas en faire trop… Il faut utiliser une émission légère et laisser un peu de place pour des coloratures. L’air « Ist mein liebster dahin » est plus compliqué qu’il ne paraît. Il faut être déjà prête (car ce n’est pas un aria très long) à passer par différentes couleurs et sentiments. En l’espace de quelques minutes on doit trouver le véritable ton du rôle car avec la Nourrice, l’Impératrice devient beaucoup plus dramatique. Par la suite, la tessiture de dramatique se précise de plus en plus et vraiment il faut être robuste pour arriver en un seul morceau à la fin de cette œuvre. C’est en définitive très compliqué !
Avez-vous en mémoire un modèle d’interprétation de ce rôle ?
Afin de m’inspirer personnellement j’écoute toujours des enregistrements lorsque j’apprends un nouveau rôle. Cela peut varier certes mais parfois je dois en écouter beaucoup avant de trouver ce qui pour moi me parait le meilleur ! Cette fois-ci je n’ai écouté personne d’autre qu’Ingrid Bjoner (ndlr : soprano norvégienne,1927-2006). Quelle inspiration ! Elle a chanté tous les grands rôles wagnériens et straussiens avec une puissance et une intelligence des personnages remarquables. Même si ce n’est pas une exception, elle possède également une douceur et une souplesse vocale incroyables. C’est fabuleux ! Mais je dois souligner quand même, surtout à l’attention des chanteurs lyriques qui vont lire cet entretien, qu’il est bon d’être inspiré par une interprétation mais qu’il ne faut jamais la copier…
Votre répertoire actuel, avant tout wagnérien, vous amenait-il en toute logique à ce rôle, plutôt qu’à celui de La Teinturière ?
Je dis toujours : tout arrive à point à qui sait attendre. Tout est question de tessiture, d’âge, d’évolution personnelle, de rencontres aussi… Toutes les sopranos qui chantent L’Impératrice ne peuvent pas ou ne vont pas chanter un jour La Teinturière. Et vice versa. Je la chanterai peut-être un jour, tout comme Elektra, mais aujourd’hui je suis heureuse de chanter Chrysothémis et L’Impératrice. En plus je pense qu’elles ont la meilleure musique (rires !!!!). Et quand on parle de Wagner, je crois que beaucoup de mes rôles dans ce répertoire m’aident à chanter Strauss. L’inverse se vérifie également ! Je suis persuadée qu’il est important de se concentrer sur un rôle à la fois et de le laisser vous envahir.
Quelle est la prise de rôle que vous attendez avec le plus d’impatience que l’on vous propose ?
J’espère vraiment chanter une jour Elektra. Salomé aussi bien sûr mais dans un futur plus lointain. Salomé est une tueuse et je ne veux pas m’infliger pareil personnage pour le moment. Isolde arrive bientôt et j’ai vraiment hâte. Mais n’oubliez pas que je chante aussi Puccini et qu’en la matière mon rêve se nomme Suor Angelica !
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 19 janvier 2024.
Crédit photos : Line Fiane