Le concert du 26 mai dernier de l’Orchestre national du Capitole réunissait deux habitués de la vie musicale toulousaine. Le chef allemand Cornelius Meister et le pianiste français David Fray présentaient ce soir-là un programme ancré dans le romantisme germanique, mais néanmoins introduit par une création mondiale d’une grande originalité.
Cornelius Meister est le Directeur Musical du Staatsoper et du Staatsorchester de Stuttgart depuis 2018. Il est également Premier Chef Invité du Yomiuri Nippon Symphony Orchestra. Récemment récompensé d’un OPUS Klassik dans la catégorie « Chef de l’année », d’un International Classical Music Award dans celle de l’« Enregistrement symphonique de l’année » pour son cycle complet des Symphonies de Bohuslav Martinů, il est aujourd’hui l’un des chefs les plus en vue de sa génération.
Il s’intéresse et s’implique personnellement dans la création contemporaine. Il est ainsi à l’origine de la commande du Staatsoper de Stuttgart d’une pièce du compositeur français Régis Campo, Arts Spirit, qui ouvre ce concert du 26 mai. La création initialement prévue à Stuttgart en 2021 n’a pu avoir lieu en raison de la pandémie. Son exécution à Toulouse en constitue donc la création mondiale.
Né en 1968 à Marseille, Régis Campo a étudié la composition notamment auprès de Jacques Charpentier et de Gérard Grisey. De 1999 à 2001, il est pensionnaire de la Villa Médicis à Rome. Plus de trois-cents œuvres, composées pour diverses formations instrumentales, figurent déjà à son catalogue. La pièce créée à Toulouse est inspirée de l’ouvrage The Arts Spirit du peintre américain Robert Henri (1865-1929). Effectivement conçue comme une peinture sonore et colorée, l’œuvre s’ouvre sur un fourmillement des percussions qui évoque irrésistiblement les musiques de gamelans balinais. Vibraphone et xylophone, piano et célesta organisent d’abord une agitation permanente qui évolue peu à peu vers un apaisement porté par un tapis de cordes. Au cœur de l’œuvre un bref silence général produit un effet saisissant. Un cheminement paisible conduit enfin à la conclusion. Aux côtés de Cornelius Meister, le compositeur Régis Campo reçoit un bel accueil de la part du public, visiblement séduit par Arts Spirit. Une preuve de plus que la musique d’aujourd’hui, bien conçue et exécutée, peut trouver sa voie dans les programmes de concerts classiques.
Le Concerto en la mineur pour piano et orchestre de Robert Schumann, l’un des emblèmes les plus évidents du répertoire romantique suit cette création. David Fray, un habitué de la scène toulousaine, en est le soliste passionné. Rappelons que David Fray, né à Tarbes en 1981, occupe une place importante dans le panorama de la dynamique génération des jeunes pianistes français. Ses nombreuses récompenses en attestent.
Le soliste aborde ce concerto mythique avec une grande liberté de ton, comme s’il improvisait. Il ouvre l’Allegro affetuoso avec la fièvre juvénile qui caractérise l’écriture de Schumann. Son jeu nerveux, contrasté, confère une vie irrésistible à sa vision, avec néanmoins des plages d’une profonde poésie. Poésie qui se prolonge dans le court Intermezzo, joué comme une introduction au final Allegro vivace, débordant de vitalité. De manière très personnelle, David Fray alterne les élans de passion débridée avec parfois des épisodes de colère, de rage même… La coda conclusive, torrentielle, entraîne l’ensemble de l’orchestre, dirigé avec ardeur par Cornelius Meister, vers un feu d’artifice de sonorités éclatantes. Rappelé avec insistance, le pianiste conclut sa prestation avec une vision pleine de profondeur et de sérénité de la 4ème Suite française de Johann Sebastian Bach.
La seconde partie du concert est consacrée à la Symphonie n° 2 en ré majeur de Johannes Brahms, autre symbole du romantisme germanique. Caractérisée par son auteur comme « une petite symphonie gaie, tout à fait innocente », cette partition n’en contient pas moins des éléments dramatiques et intenses. Cornelius Meister traduit le lyrisme majestueux de l’Allegro non troppo initial d’une manière un peu lisse. En revanche, l’émotion profonde de l’Adagio non troppo, d’une grande richesse d’écriture, ouvre la voie à un troisième mouvement Allegretto grazioso plein de fraîcheur et de contrastes expressifs. Dans le final, Allegro con spirito, la direction du chef construit une belle trajectoire, à la fois énergique et chaleureuse vers une coda irrésistible de joie et d’enthousiasme qui recueille une belle ovation. Saluons également pour leurs nombreuses interventions tous les solistes de l’orchestre et notamment la jeune violon solo de cette soirée Mairead Hickey.
Serge Chauzy
Programme du concert donné le 26 mai 2023 à 20 h à la Halle aux Grains :
- R. Campo : « Art spirit » (Création mondiale)
- R. Schumann : Concerto pour piano et orchestre en la mineur op. 54
- J. Brahms : Symphonie n°2 en ré majeur op. 73