En quelques années, le chef américain nous a confié ses Troyens, son Requiem et sa Damnation de Faust chez ERATO. Et il n’est rien de dire que ces enregistrements ont d’ores et déjà fait date. A présent, il nous présente l’un des chefs-d’œuvre toujours d’Hector Berlioz, l’acte de naissance de la mélodie « à la française », ses Nuits d’Eté sur des poèmes de son ami Théophile Gautier, extraits de son recueil La Comédie de la mort publié en 1838.
Composé dans un premier temps avec accompagnement piano en 1841, ce cycle sera orchestré par le compositeur lui-même assez rapidement. Tout d’abord Absence en 1843, puis les cinq autres mélodies en 1856. Destinées à des ténors ou des mezzo-sopranos, ce furent ces dernières qui en firent leur cheval de bataille. Il n’y a qu’à citer Régine Crespin, pour l’éternité sur la plus haute marche du podium féminin. En fait toutes les tessitures se sont un jour ou l’autre affrontées à ces six mélodies. Avec plus ou moins de bonheur et, il faut le dire aussi, en transposant allégrement les moments délicats de la partition…
Ce que nous propose aujourd’hui le ténor américain Michael Spyres est certainement ce que l’on a entendu de plus « original » depuis longtemps. En effet, Michael Spyres chante cette partition telle que le compositeur l’a écrite. Nous connaissons la longueur exceptionnelle de l’ambitus du chanteur, certes. Aussi n’est-il pas étonnant, dans Sur les lagunes, de l’entendre émettre un fa bémol grave, à vrai dire annoté ad libitum, alors que la plupart des interprètes se « contentent » d’un do bémolisé. A chacun ses moyens ! Mais une note ne fait pas tout. L’on ne sait quelles qualités mettre en avant tant elles sont ici nombreuses, depuis une prosodie exemplaire jusqu’à cette capacité à plier une voix et un timbre capables d’être Enée jusqu’aux demi-teintes vertigineuses du Spectre de la rose. Et quel phrasé ! Quelle homogénéité dans cette projection conjuguant l’héroïsme et la douceur la plus diaphane. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg est un partenaire de choix dans chacun de ces affects qui nous laissent au bord de l’infini. Sous la direction de John Nelson, voilà assurément une référence dont l’authenticité musicologique et l’interprétation ancrent sa permanence pour longtemps.
Hector Berlioz le faisait lui-même dans ses concerts, ajoutant à ces Nuits d’Eté, Harold en Italie. Les mêmes qualités de chef et d’orchestre se retrouvent dans ce véritable poème symphonique pour alto, commande de Nicolo Paganini. Ce dernier souhaitait une œuvre virtuose, échevelée, mettant en valeur son talent et le Stradivarius qu’il possédait. Hector Berlioz lui propose tout autre chose que le musicien génois… refusera. Il est vrai que l’alto ne rivalise pas avec l’orchestre mais plus simplement s’enchâsse de la plus merveilleuse des manières à l’intérieur d’une partition ébouriffante qui n’est pas sans rappeler celle de la Fantastique. C’est le jeune (27 ans !) altiste londonien Timothy Ridout qui tient ici un archet tour à tour fulgurant ou rêveur.
Un disque, enregistré en 2021, en forme de nouvelle pierre angulaire au colossal travail de John Nelson vis à vis du plus révolutionnaire des compositeurs français.
Robert Pénavayre
« Berlioz – Les Nuits d’Eté – Harold en Italie » – ERATO – 1 cd – 17,99€