Le jeune baryton russe Mikhaïl Timoshenko a fait une première et courte apparition sur la scène du Capitole lors des Nuits d’été aux côtés du ténor Benjamin Bernheim le 17 juillet 2021. Il avait alors 26 ans ! Le voici à nouveau mais pour un engagement autrement plus important puisqu’il prend sur la scène toulousaine le rôle de Marcello de La bohème puccinienne. Rencontre, en français, avec un artiste formidablement… émouvant.
Classictoulouse : Vous avez chanté Colline, Basile, Figaro des Noces mozartiennes, des rôles habituellement distribués à des basses. Aujourd’hui vous voilà dans Marcello, clairement une tessiture de baryton lyrique. Votre voix a donc évolué ou est-elle exceptionnellement longue ?
Mikhaïl Timoshenko : En fait j’ai travaillé Colline à mes tout débuts, mais je ne l’ai jamais chanté sur scène. Mon ambitus aujourd’hui évolue entre le mi grave et le sol/la bémol dans le registre supérieur. Certainement ma voix a évolué mais je crois surtout qu’à présent je suis dans ma véritable tessiture. Je suis donc plus baryton lyrique que baryton-basse.
CT : Quels souvenirs avez-vous de votre passage à l’Académie de l’Opéra de Paris ?
MT : C’est un peu comme Christophe Colomb qui découvre l’Amérique. Mon passage à l’Académie de l’Opéra de Paris a été pour moi un moment merveilleux qui m’a ouvert au plus haut niveau le monde de l’opéra. Ces années-là m’ont permis également de me produire sur la scène de Garnier et de Bastille, certes dans des petits rôles, mais quel enseignement ! Quelle expérience ! C’est pour moi une chance incroyable qui m’a fait naître comme chanteur d’opéra.
CT : Parlez-nous de Marcello, un personnage qui n’a pas d’air à lui et qui est pourtant essentiel dans la construction dramatique et dans la structure musicale de tous les ensembles ?
MT : C’est délicat de répondre à cette question car Marcello est un monde à lui tout seul, même s’il n’a pas d’air. Dans cet opéra, son univers est autant vocal que scénique et dramatique. (Ndlr : et d’ajouter dans un demi-sourire car Mikhaïl Timoshenko est gourmand…) Marcello est comme le beurre dans la cuisine française. Sa présence, comme vous avez dit, est essentielle dans la structure gustative de tous les ensembles.
CT : Chaque compositeur a ses exigences. Quelles sont les difficultés liées à l’écriture puccinienne ?
MT : Il y a un chemin puccinien très spécifique à sa musique. C’est comme une langue. Comme un idiome dont il faut apprendre toutes les spécificités de l’écriture, et quand on la maîtrise c’est le début du vrai travail et de la magie. Portamento, tempo, parlando, tout cela et bien d ‘autres choses Puccini les a traitées à sa manière et il faut le respecter. Sur ce sujet, et comme c’est une prise de rôle pour moi, je suis vraiment très heureux de travailler ici avec le maestro Passerini. Ses mots, son talent et sa connaissance de l’œuvre sont pour moi très inspirants. Et en même temps je me sens tellement libre, comme d’ailleurs tous mes collègues. C’est un vrai bonheur d’apprendre dans ces conditions.
CT : Vous n’avez pas encore trente ans, comment vit-on une vie d’artiste lyrique au 21éme siècle ? Est-ce encore et toujours une vie de bohème ?
MT : Ce n’est pas évident, ni pour moi ni pour ma femme qui est pianiste. J’ai quitté mon pays, la Russie, depuis 12 ans à présent. J’ai commencé mes études en Allemagne, puis je suis venu à Paris. Aujourd’hui je passe une grande partie de mon temps en avion, en train, dans de hôtels. Je le savais, mais c’est un peu dur à vivre en réalité. J’ai un statut permanent « d’invité ». Alors que je souhaite avoir mon toit, mon « chez moi », replanter des racines. Je navigue le plus régulièrement entre Paris, Berlin, où je continue d’étudier avec mon professeur, et Vienne où se trouve ma femme en fin d’études également. L’autre difficulté est d’entretenir en permanence son corps car c’est notre instrument à nous chanteurs. Il faut faire extrêmement attention à notre nourriture, ne pas manger n’importe quoi, n’importe quand et surtout dans n’importe quelle quantité. C’est une règle de chaque instant dans notre vie. D’autant qu’en plus de l’aspect purement vocal, il faut souligner combien l’impact visuel est de nos jours devenu important. Nous devons prendre soin de notre physique. Je fais du sport quatre à cinq fois par semaine. Bien sûr mon agent m’aide beaucoup. Ne comprenez pas que je me plains de ma situation mais simplement je veux dire que le métier est difficile. Cela dit c’est ma passion et je ne saurais pas faire autre chose, alors…
CT : Vers quels rôles ambitionnez-vous d’aller et quels sont vos projets ?
MT : Je souhaite pouvoir devenir un baryton verdien. Par exemple pour chanter Germont, puis Posa. Mon rêve absolu c’est Simon Boccanegra. Je veux dire aussi que j’ai une véritable passion pour l’opéra contemporain. Sur ce sujet je pense particulièrement à L’Amour de loin de Kaija Saariaho. Mon projet immédiat après Toulouse, c’est Papageno à Montpellier. Début 2023 je chante à la Philharmonie de Berlin une messe de Mozart sous la direction d’Herreweghe. Mon grand rendez-vous de 2023 sera certainement Leporello à Glyndebourne.
CT : Je ne veux pas finir cet entretien sans vous donner la possibilité, si vous le souhaitez, de vous exprimer quant à la situation actuelle de votre pays.
MT : Il est très difficile pour moi de parler de ce sujet pour une multitude de raisons. Dans le troisième acte du Nabucco de Giuseppe Verdi, il y a une célèbre scène avec le chœur Va pensiero. Dans ce chœur on entend Oh, mia patria si bella e perduta, une phrase qui résonne avec mes sentiments. Dans tout conflit militaire il n’y a pas de vainqueur. Je ne peux que prier pour que cela se termine le plus vite possible et que tout le monde puisse rentrer chez soi vivant.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 16 novembre 2022