C’est dans le cadre d’une large coproduction (Théâtre des Champs Elysées, Opéras de Leipzig, de Montpellier, de Rome et Théâtre du Capitole) que vient de se faire l’entrée au répertoire de l’illustre institution lyrique toulousaine du chef-d’œuvre de Georg Friedrich Haendel : Giulio Cesare in Egitto, plus communément nommé Jules César. Cette entrée se fait escortée d’un plateau vocal hors pair au milieu duquel brille une pépite incroyable. Nous allons y revenir.
La mise en scène de Damiano Michieletto décale à notre époque cet épisode historique qui vit César poursuivre son rival Pompée jusqu’en Egypte en 48 avant J.C. L’histoire nous relate que pour obtenir les faveurs de César et évincer sa sœur Cléopâtre du pouvoir pharaonique, Ptolémée lui offrit la tête de son ennemi. Mal lui en prit… Le rideau s’ouvre sur un cube blanc. Point de mobilier ni d’un quelconque accessoire pour l’instant. C’est dans cet univers aseptisé que vont évoluer les personnages vêtus de costumes tout ce qu’il y a de plus actuels. De temps à autre, une paroi dudit cube s’écartant laisse apercevoir des échappées que l’on devinera oniriques dans lesquelles déambulent le fantôme de Pompée mais aussi trois personnages, sortes de Parques, ou de Nornes nordiques tissant les liens de la destinée humaine, figures récurrentes dans cette production et symbolisant la mort. Seuls personnages historisés de manière vestimentaire, un groupe de sénateurs vêtus de la toge prétexte, incarne les prémonitions de Jules César quant à son assassinat, qui d’ailleurs interviendra deux ans après. Une immense table et quelques candélabres feront brièvement une courte apparition. La mise en scène se concentre à l’évidence sur les chanteurs. Sans atteindre des profondeurs cornéliennes, elle n’en demeure pas moins efficace, traçant des portraits relativement convaincants des protagonistes, quitte à forcer le trait, notamment concernant Ptolémée. Sans oublier que ce dernier devait avoir à peine une quinzaine d’années lors des événements…
Ce sont des tableaux d’une réelle beauté esthétique qu’il convient finalement de retenir. Ils offrent aux chanteurs de véritables écrins de sérénité à leur chant, accompagné ici par les Talens lyriques, que nous avons connus plus incisifs, sous la direction de Christophe Rousset. Mais l’essentiel était bien ailleurs. Nous y venons !
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Au milieu d’une pluie d’étoiles, un soleil irradiant
En lui accordant le triomphe de la soirée, le public ne s’y est pas trompé. Le Sesto de Key’mon Murrah restera dans la mémoire des mélomanes toulousains assurément. Ce contre-ténor américain qui vient juste de fêter ses 35 ans, déploie un timbre d’un velours irrésistible sur un ambitus gigantesque qui lève un voile véritable sur la tessiture des castrats. Virtuose autant dans le trille que dans la vocalise, maîtrisant un souffle incroyable de longueur, projetant sa voix avec une infinité de dynamiques, il a littéralement fasciné le public. Le duo avec sa mère Cornelia (Son nato a lagrimar) à la fin du 1er acte est d’ores et déjà entré dans la légende capitoline.
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Il faut dire que c’est la mezzo-soprano Irina Sherazadishvili qui lui donnait la réplique. Et quelle réplique ! Son timbre capiteux et sa merveilleuse ligne de chant savent se plier à l’écriture large de ce personnage intensément tragique. Il y a comme cela des moments de grâce. Des applaudissements nourris et chaleureux sont également venus saluer à bon escient le rôle-titre, une performance en soi puisque Rose Naggar-Tremblay s’est vue distribuée dans ce rôle (elle devait être primitivement Cornelia) une semaine avant le début des répétitions ! Portant le travesti avec une aisance confondante d’aplomb, le contralto québécois impose un Jules César d’une impériale autorité. Mais pas que. Elle sait en tracer les doutes et les tourments ainsi que les infinies personnalités qui se croisent chez celui qui va revêtir la pourpre impériale et qui, comme un adolescent, fond littéralement devant Lydia/Cleopatra. Ses somptueuses couleurs abyssales et une tessiture qui ne perd rien en virtuosité dans ses abîmes nous donnent fortement envie de la réentendre dans un contexte plus « apaisé ».
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Autre triomphe de la soirée, celui de Claudia Pavone. Cleopatra à faire damner tous les Saints du paradis, celle qui sera demain Norma sur cette même scène dédie son magnifique et lumineux soprano à l’Egyptienne la plus célèbre de l’Histoire. Offrant des contre-notes vertigineuses dans des ornementations que ne le sont pas moins, elle marque ce rôle par sa voix autant que par sa présence, mettant le public en apnée totale avec son Piangero la sorte mia au 3e acte.
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Queer et déjanté, ainsi nous apparaît le Tolomeo du contre-ténor allemand Nils Wanderer. Sans économies aucunes, et quitte à brutaliser l’homogénéité de ses registres, il donne du frère de Cleopatra une vision littéralement délirante, extravertie, voire hallucinée. Le baryton barcelonais Joan Martin-Royo assume son rôle peu reluisant d’Achilla, lui prêtant ses belles et automnales harmoniques, franchissant sans problème les écueils de son aria. Le contre-ténor William Shelton, qui fut un Gobst cauchemardesque lors de la création in loco du Voyage d’Automne de Bruno Mantovani, se glisse avec une aisance teintée de beaucoup d’émotion dans le costume de Nireno, le confident de Cleopatra. Enfin, Adrien Fournaison, malgré l’étroitesse de son rôle, arrive à imposer le personnage de Curio, le tribun romain.
La distribution d’un tel ouvrage fait face à des challenges vertigineux. Et lorsque l’interprète du rôle-titre quitte la production juste avant les répétitions, nous sommes devant un nouvel épisode de Mission : Impossible. Mais comme dans la célèbre saga cinématographique, le gant est ici magistralement relevé. Résultat, une nouvelle entrée au répertoire et un nouveau spectacle qui font d’ores et déjà date dans les annales capitolines. Devant des salles combles !
Robert Pénavayre
Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr
Représentations restantes : 25 et 28 février, 2 mars 2025
Photos : Mirco Magliocca.