Entretiens | Opéra

« On ne programme pas une saison pour d’autres raisons que l’émotion, le bonheur et l’élévation du public » Christophe Ghristi

Christophe Ghristi ; directeur artistique de l'Opéra national du Capitole de Toulouse

Le public se rue littéralement sur les spectacles du Capitole. Clairement, il n’y a pas de places pour tout le monde. Alerte rouge cette saison avec deux spectacles « allongés » : Nabucco et Norma.  La programmation 25/26 risque également de faire des malheureux. Mais quelle est donc la martingale de Christophe Ghristi, Directeur artistique de l‘illustre autant que vénérable et toujours aussi jeune institution lyrique toulousaine ?

Rencontre

Classictoulouse : Alors que vous venez de présenter la saison 25/26 du Capitole, vous avez été obligé, si l’on peut dire, de programmer une 9e représentation de Norma tant la demande a été forte sur cette reprise. Vous me disiez l’an passé à la même date que votre plus grand défi était le public. Défi relevé donc ?

Christophe Ghristi :  Oui, je crois, si l’on en juge par ce qu’il se passe cette saison non seulement pour les grands titres tels que Nabucco et Norma pour lesquels nous avons été amenés à ajouter une représentation, mais également pour des ouvrages tels que Jules César et même la création mondiale du Voyage d’Automne qui a rencontré un énorme succès public.

L’affluence record du public au Théâtre du Capitole est due sans doute aucun à la qualité de la programmation et des distributions. Mais peut-on y voir aussi la manifestation de l’ADN toulousain pour l’opéra ?

Sans aucun doute. J’y vois avant tout un alignement des planètes, une connexion formidable avec le public. Je suis persuadé que dans toutes les grandes villes de France il y a la place pour un opéra qui ferait le plein. C’est un sujet très sérieux pour qui s’inquiète de l’avenir de ce patrimoine et de ces institutions. On ne programme pas une saison pour d’autres raisons que l’émotion, le bonheur et l’élévation du public. C’est un devoir civique et en même temps une joie profonde.

Alors que les nuages s’amoncellent en France comme ailleurs sur la Culture, la nouvelle saison lyrique toulousaine semble à l’abri de vents contraires

La gestion de cette maison, à tous les niveaux, fait l’objet d’un travail très pragmatique qui, je l’espère, ne se voit pas trop mais qui nous permet de continuer à présenter au Capitole de Toulouse de vraies et grandes saisons d’opéra. Il faut bien sûr remercier en premier lieu la Métropole de Toulouse qui nous soutient fidèlement. Et la meilleure façon je pense de faire cela c’est d’afficher complet pour la plupart des spectacles. Puis-je ajouter que, depuis des années, cette maison est très respectueuse des deniers publics. Au niveau artistique, par exemple, je suis extrêmement attentif au moindre contrat.

Dans vos distributions il y a toujours un brassage de générations, par exemple Norma avec Roberto Scandiuzzi et Eugénie Joneau. Au-delà des qualités de chacun, ne participez-vous pas ainsi à une véritable mission de transmission ?

Le travail en commun regroupant plusieurs générations est très important. Je peux citer aussi, au travers de cette Norma, le travail réalisé entre Roberto Scandiuzzi et Adolfo Corrado, ce dernier souhaitant s’inscrire dans le magnifique héritage de cette immense basse italienne que nous avons le plaisir d’accueillir chaque saison.

Venons-en à la future saison du Capitole. Sur 10 titres programmés, 8 ont des femmes pour héroïnes. A moins que ce ne soit calculé de votre part, que nous dit cette proportion quant à l’histoire de l’opéra ?

L’opéra est le domaine du grandiose et de la démesure qui peuvent être portés aussi bien par des hommes, je pense à Don Giovanni, que par des femmes. Mais l’opéra étant la plupart du temps d’essence tragique, celle-ci relève d’un univers avant tout féminin. Il n’y a qu’à penser à Racine, en France, à Phèdre, Bérénice et Andromaque. Les tragédiennes brisent l’ordre établi, affirment leurs désirs, preuve d’ailleurs que de tout temps l’opéra a été intensément féministe car il a souvent évoqué le désir féminin. Au Capitole, Michel Fau comme Anne Delbée n’ont cessé de nous montrer que la tragédie est la chose la moins triste qui soit, mais au contraire la plus vivace, bouillonnante, énergique. Cette saison Thaïs, Carmen et Salomé sont des œuvres de scandale, ce qui a par ailleurs participé à leur succès.

Comment avez-vous convaincu Mathias Goerne de se lancer dans une première mise en scène lyrique ?

Je ne l’ai pas convaincu pour la bonne raison que c’est lui-même qui me l’a demandé. A vrai dire, nous nous connaissons de longue date. Depuis une décennie à peu près il a concentré ses apparitions lyriques sur de rares scènes, notamment le Liceu de Barcelone et le Capitole de Toulouse.  Dans toutes nos discussions il évoquait son désir de mettre en scène. J’ai trouvé que c’était une bonne idée car c’est un artiste qui non seulement connaît bien le métier mais il est aussi doté d’un imaginaire extraordinaire autant que rare. Il fallait bien sûr un ouvrage lié à sa carrière. Or il a souvent chanté le rôle de Jochanaan. D’un autre côté, une maison comme la nôtre se doit d’avoir une production de Salomé dans son répertoire.

J’imagine que ce n’est pas parce qu’elle est Présidente de la Cinémathèque de Toulouse qu’Agnès Jaoui signe la mise en scène de Don Giovanni.

Vous imaginez bien. Agnès Jaoui est très mélomane. La musique fait partie intégrante de son travail de réalisatrice. Encore une fois la chose s’est avérée possible grâce à de multiples discussions et là, évidemment, sa proximité à la Cinémathèque de Toulouse n’y est pas étrangère. Ce n’est pas une première pour elle mais ce seront ses débuts dans une grande production lyrique.

Après Voyage d’Automne vous revenez avec La Passagère sur le second conflit mondial, cette fois au fil d’une croisière se déroulant en 1960 et rappelant les horreurs d’Auschwitz…

L’opéra du XXe siècle a une caractéristique extraordinaire, celle d’être l’écho des cataclysmes de notre temps, tout comme la littérature a su le faire d’une manière tout aussi importante. Les grands chefs-d’œuvre de la seconde moitié du XXe siècle sont à appréhender à l’aune de la dernière guerre mondiale car ils y sont étroitement liés. Britten ne parle que de cela dans Peter Grimes et Le Viol de Lucrèce. A y regarder de près, Poulenc et son Dialogues des Carmélites fait la même chose bien que le drame se passe lors de la Révolution française. La Passagère regarde de manière très directe les béances de l’Histoire. Je suis d’ailleurs très fier que le Capitole accueille la première française de cet opéra. La vie de son compositeur, Mieczyslaw Weinberg, est une tragédie en elle-même. Il fuit les nazis, perd dans un pogrom la plupart des siens, s’exile en Russie où Staline le met en prison. Seule la mort de ce dernier lui a évité le pire. Ce musicien commence enfin à être reconnu dans le monde entier et son œuvre affichée dans toutes les grandes maisons d’opéra ainsi que les plus prestigieux festivals. Je pense que cette Passagère fera date dans l’histoire du Capitole et dans la vie lyrique française.

Le Capitole va avoir la primeur du premier Otello du grand ténor américain Michael Fabiano qui ne connaît le Capitole que pour un épisodique Don José en janvier 2022 suivi d’un récital de mélodies consacré à Duparc.

La discussion avec les agents est très importante, mais il faut également, et c’est ce que je fais, parler avec les artistes. Cet Otello avec Michael Fabiano résulte d’un désir partagé. Le Capitole est une maison familiale où chacun parle librement et c’est le jour où il est venu pour Don José que le sujet a été abordé. Quand j’ai envie de travailler avec un chanteur, il faut que je sois en éveil permanent afin de saisir toutes les opportunités. Concernant ces grands artistes convoités par la planète entière, nous sommes la maison idéale pour faire de pareils débuts car ils savent que les meilleures conditions sont réunies pour que tout se passe bien.

Christophe Ghristi – Directeur artistique de l’Opéra national du Capitole de Toulouse

La demande fait l’unanimité parmi le public depuis que vous avez surtitré le récital de Michael Volle. Comptez-vous pérenniser le surtitrage des récitals ?

Clairement oui, dès que ce sera possible car c’est plus compliqué que pour une représentation lyrique. Parfois nous avons le programme du récital au dernier moment, ou presque. Mais oui, nous allons y travailler.

Parlez-nous de cet artisan de l’ombre, que le public ne voit jamais mais qui est si important pour l’opéra, votre nouveau chef de chant, Levi Gerke. Il fait déjà l’unanimité auprès de tous les chanteurs ! Comment l’avez-vous trouvé ?

Il est venu à nous car la place de Robert Gonnella était libre du fait de son départ à la retraite. Il a été recruté sur concours comme pianiste du chœur dans un premier temps, puis la place de Robert Gonnella étant libre, il a été retenu pour lui succéder. Il forme avec Miles Clery-Fox, notre autre pianiste chef de chant, et Christophe Larrieu, assistant chef d’orchestre, une équipe hors de pair.

Votre hommage à Ravel ne sera pas lyrique mais chorégraphique, avec un programme réunissant le Boléro et Daphnis et Chloé

Ravel a plus écrit pour la danse que pour la voix, c’est donc légitime. Mais ce n’est pas tout. Dans le ballet Daphnis et Chloé, nous allons réunir toutes les phalanges de notre maison : orchestre, chœur et ballet. Ce sont des moments rares, des opportunités que je tiens à saisir. Ces grandes partitions de ballet, on pense aussi à Prokofiev, il faut les faire diriger par un grand chef. C’est pour cela que j’ai invité Victorien Vanoosten qui a dirigé ici nos derniers Pêcheurs de perles, un opéra qui réunit aussi choristes, danseurs et musiciens.

Un mot pour qualifier cette nouvelle saison ?

La saison du désir, car, au vu des héroïnes qui vont l’animer…

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 3 avril 2025

Photos : Mirco Magliocca

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