Opéra

Les pépites du Barbier toulousain

de gauche à droite : Florian Sempey (Figaro), Kévin Amiel (Almaviva), Andreea Soare (Berta), Eva Zaïcik (Rosina), Paolo Bordogna (Bartolo) et Roberto Scandiuzzi (Basilio) Crédit Mirco Magliocca

Pour clore la première saison lyrique toulousaine enfin dans son intégralité depuis le début de la pandémie, Christophe Ghristi ne pouvait mieux choisir que le piquant Barbier de Séville de Gioacchino Rossini. Deux distributions riches en pépites font crouler sous les ovations un Capitole qui décidément retrouve l’habitude d’afficher complet.

C’est dans une coproduction Munich et Barcelone à laquelle se joint Toulouse, que ce Barbier de Séville revient dans l’auguste salle toulousaine. Elle est signée pour la mise en scène et les lumières de Josef Ernst Köpplinger, Johannes Leiacker pour les décors et Alfred Mayerhofer pour les costumes. C’est donc au travers d’une sensibilité germanique que nous nous retrouvons à Séville, au milieu du siècle dernier. Le rideau s’ouvre sur une rue plutôt « colorée » en terme de fréquentation. Un panneau lumineux ne laisse que peu de doutes : Prostilube. La maison qui nous fait face semble héberger une nombreuse clientèle de passage, mais également Bartolo, Rosine et toute la domesticité. Des ouvriers œuvrent avec échelle et brouettes, mais comme il fait chaud, c’est plutôt en tenue légère qu’ils se reposent, observant goguenards de jeunes prêtres tourner en rond autour de ladite demeure. Le ton est donné, dépassant largement les frontières du badinage… Une tournette nous fait pénétrer ensuite à l’intérieur de la maison du Docteur. Proche d’un vaudeville, la mise en scène fait claquer les portes dans tous les sens alors qu’un malheureux canapé d’en finit pas de recevoir des visites en tous genres.  Tout cela au milieu de couleurs flashies et d’allers et venues mettant certainement les rythmes cardiaques à rude épreuve. Assez perturbante, cette mise en scène propose mille mini-saynètes toutes les deux secondes aux quatre coins de l’action. Il faut donc faire des choix, sinon…  Bref, peut-être bien une agitation par trop effrénée pour une œuvre qui n’en demande pas autant, tout se trouvant par ailleurs dans la partition. Quant aux choix « sociétaux », Berta se retrouvant dans la peau d’une Madame Claude de bas étage (?), et ce n’est qu’un exemple, chacun se fera son opinion… La vraie question étant de savoir si cette « vision » est en corrélation avec la musique. D’autant que dans la fosse œuvre un fin ciseleur, connaissant ce répertoire dans ses moindres méandres : Attilio Cremonesi. Ecoutez dans l’ouverture la manière dont il fait chanter les violons, ces diminuendi pleins d’élégance, de raffinement, de sens, d’ironie aussi, ces crescendi enivrants, ces ensembles tumultueux mais au cordeau. Maître des horloges rossiniennes, le maestro conduit l’Orchestre du Capitole vers un triomphe mérité.

Toutes générations confondues

 Il est difficile de ne pas nommer en premier le « commandeur » de ce spectacle : Roberto Scandiuzzi, Basilio exemplaire de ton, de voix, de style, de geste. Avec cet immense artiste que le Capitole peut se vanter d’avoir su fidéliser, c’est une légende de l’art lyrique qui, le temps de la célèbre « calunnia » démontre gentiment à toute une génération de chanteurs l’humble simplicité d’un gigantesque talent.  Saluons également dans ce rôle Julien Véronèse, autre Basilio avec lequel les distributions du Barbier rossinien devront compter dorénavant.

Roberto Scandiuzzi (Basile)
Roberto Scandiuzzi (Basile) crédit Mirco Magliocca

La Rosina d’Adèle Charvet, malgré, si l’on peut dire, un heureux événement très proche, ne fait qu’une bouchée de ce personnage, lui confiant sa somptueuse voix de mezzo-soprano, homogène, couronnée d’aigus d’une belle rondeur, puissante, souple et virtuose. A se demander si derrière pareil organe ne se cache pas celui d’une authentique Falcon… A suivre !  Eva Zaïcik, pour aussi piquante et virtuose soit-elle, peine un peu à lui être comparée. Côté Almaviva, prenons d’abord en compte les circonstances d’une prise de rôle pour le Toulousain de l’étape : Kévin Amiel et reconnaissons-lui sans faillir une belle musicalité, un timbre lumineux, un jeu de scène irrésistible et surement plein de belles promesses. Avec le jeune ténor tchèque Petr Nekoranec, Second prix du Concours de Chant de Toulouse 2014, nous entrons dans un autre univers. Et l’on ne saura trop remercier Christophe Ghristi de nous avoir offert, à l’heure où l’on chante Rossini de manière romantique, en appuyant les aigus à la manière de Gilbert Duprez (1806-1896), un ténor contemporain se souvenant d’Adolphe Nourrit (1802-1835) et surtout de son professeur Manuel Garcia (1775-1832), le créateur d’Almaviva. Avec Petr Nekoranec, il n’est question que de ligne de chant, de musicalité, de virtuosité, d’élégance, de style.  Ses registres de poitrine, médium et grave, plus que confortables, servent de socle à un registre aigu, voire suraigu émis en mixte appuyé ou en voix de tête. Ce qui ouvre à l’interprète l’infini des ornementations auxquelles le compositeur était tellement attaché. Et pour le coup, Petr Nekoranec nous invite à un festival inouï, stupéfiant, enivrant. Ajouter à cela une vis comica à hurler de rire et voilà un chanteur dont il serait étonnant que l’on ne retrouve pas le nom en haut des affiches les plus prestigieuses.

Vincenzo Taormina (Figaro) crédit Mirco Magliocca

Deux Figaro se partagent l’affiche. Vicenzo Taormina, une fois réglés quelques sujets de justesse, se révèle un flamboyant barbier, tout empreint dans son timbre, sa diction et son jeu d’une italianité qui ici fait merveille.  Florian Sempey, célèbre dans ce rôle sur toutes les scènes du monde, expose ici une voix aux mille possibilités dont il détaille à l’envie les ressources, s’éloignant maintes fois d’une partition qui ne devient plus ici qu’un prétexte à une démonstration. Cet histrionisme vocal se retrouve scéniquement dans un abattage envahissant sans grande substance.  Résultat, un véritable triomphe personnel !  Bref… Si Yuri Kissin est un Bartolo magnifique de timbre mais face à quelques difficultés dans le chant syllabique structurant son air, ce n’est pas le cas de Paolo Bordogna, digne successeur du génial Alessandro Corbelli, qui fut sur notre scène un Bartolo d’anthologie.

Adèle Charvet (Rosina) et Petr Nekoranec (Almaviva) Crédit photo: Mirco Magliocca  Petr Nekoranec (Almaviva) crédit photo: Lirco magliocca
Adèle Charvet (Rosina) et Petr Nekoranec (Almaviva) Crédit photo: Mirco magliocca

Un grand bravo à la Berta d’Andreea Soare, digne successeur de Janet Fischer dans cet emploi et sur notre scène. Elle nous délivra un aria di sorbeto somptueux et fit éclater sa quinte aiguë dans des ensembles pourtant bien difficiles à maîtriser.  Nous retrouvions Edwin Fardini après son « Midi » pour un Fiorello au baryton élégamment projeté. Saluons enfin Bruno Vincent (L’Officier) et Frank Berg, un Ambrogio certes muet mais qui sait animer avec un humour ravageur de nombreux arrières plans. Sans oublier, sous la direction de Gabriel Bourgoin, le Chœur du Capitole, encore une fois partie prenante à la réussite de ce spectacle.

Robert Pénavayre

Renseignements et réservations : www.theatreducapitole.com

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