Le deuxième casting des reprises actuelles du Don Giovanni mozartien au Théâtre du Capitole fait la part belle à toute une nouvelle génération de chanteurs pour le plus grand nombre familiers de la scène capitoline. En ce 21 novembre 2025, ils sont tous là, souvent pour la première fois de leur carrière, face à cet Everest lyrique d’une difficulté sans égale. Agnès Jaoui a clairement avoué qu’elle ne pouvait pas imposer sa mise en scène du premier cast au second. Fracture générationnelle aidant, intelligemment elle leur a donné de l’espace, ce dont ils ont amplement profité, se glissant dans un Don Giovanni d’une irrésistible spontanéité et, du coup, interpellant plus directement le spectateur, les nombreux rires dans la salle en sont la preuve. Il est indiscutable que cette production a trouvé son public. Loin de toute transposition plus ou moins discutable, et oubliable dans l’heure qui suit, elle s’attache à respecter… l’œuvre en nous la proposant telle que les auteurs l’ont écrite. Adieu treillis, nudités, vidéos de violences contemporaines et guerrières, combat de genres, place au chef-d’œuvre dans toute son implacable et éternelle modernité.

Si les décors et costumes ainsi que les lumières sont toujours les mêmes que pour la première, la mise en scène d’Agnès Jaoui s’en trouve sensiblement modifiée, moins théâtrale, plus humaine. En fait une réussite dont il convient d’attribuer le crédit à ces jeunes interprètes avides de démontrer leur talent. Clairement, et sans porter ombrage aux autres personnages, c’est le duo Don Giovanni/Leporello qui, ce soir, phagocyte la scène. Il faut dire que Mozart et Da Ponte en ont fait le paradigme de ces binômes volcaniques dont s’est par ailleurs emparé le cinéma au 20e siècle.

Le Don Giovanni de Mikhail Timoshenko est noble avant toute chose, jouisseur certes, mais avec élégance. Sa démarche, son port altier, ses gestes, tout traduit un homme de haute condition intellectuelle et matérielle. La voix, homogène sur toute la tessiture, est projetée avec autorité dans tous les registres, mais sait aussi se plier à la musicalité requise pour la fameuse Sérénade et devenir explosive au moment de l’Air du champagne. Si ce baryton nous gratifie d’un superbe la naturel, une note non écrite mais qui n’a rien d’anecdotique, pour tirer sa révérence au final, cela ne nous fait pas oublier la chaleur du timbre et la virtuosité des récitatifs. Un grand Don Giovanni est né.

Il en est de même pour le magnifique Leporello de Kamil ben Hsaïn Lachiri. Tel maitre, tel valet! Encore une prise de rôle qui, n’en doutons pas, va marquer une étape dans la carrière de ce jeune baryton. Kamil ben Hsaïn Lachiri réunit toutes les qualités nécessaires pour incarner ce Sganarelle lyrique. Le public toulousain l’apprécie et a déjà reconnu en lui plus qu’un chanteur : un artiste qui, lorsqu’il s’empare d’un rôle, le fouille et l’incarne à la perfection. Sa voix, d’une remarquable homogénéité, virevolte dans le fameux Air du catalogue, nous montrant qu’il est déjà un expert en chant syllabique. Le timbre est charnu, velouté, ensoleillé. Il ne le rend jamais canaille mais le pare de mille couleurs qui donnent une densité remarquable à son personnage. Les récitatifs sont au cordeau et il sait se faire entendre dans les nombreux ensembles auquel il est convié. Kamil ben Hsaïn Lachiri compose un Leporello finalement complexe, attachant, humain, qui s’est inscrit d’ores et déjà dans nos mémoires. Il forme avec Mikhail Timoshenko un tandem conjuguant magistralement les couleurs de leurs voix et une complicité de jeu évidente et jubilatoire. Alix Le Saux brave le rôle de Donna Elvira avec un remarquable aplomb, nous offrant un Mi tradi de belle facture, aria dont les redoutables vocalises sont parfaitement maitrisées. Marianne Croux se lance dans Donna Anna avec également une audace stupéfiante, n’hésitant pas au 1er acte à sombrer sa voix par le recours à un poitrinage discret donnant un énorme relief à son chant. Son redoutable aria du deuxième acte, Non mi dir, lui aussi porteur de vocalises meurtrières, lui vaut de chaleureux applaudissements d’un public sous le charme. Valentin Thill est un Don Ottavio porté par un style châtié, une voix homogène, au médium impressionnant pour un ténor lyrique, et une musicalité de chaque instant. Sa composition dramatique, surprenante faut-il bien avouer, en fait ici un personnage plus qu’entreprenant auprès de cette pauvre Donna Anna qui a du mal à faire le deuil de son père… Un Don Giovanni en herbe?

La soprano italienne Francesca Pusceddu est une Zerlina pétillante à souhait, autant par son timbre cristallin dans sa couleur que dense dans sa texture. Elle impose son personnage avec une maîtrise remarquable de la scène. Timothée Varon est simplement parfait en Masetto : jeu tout en sensibilité, voix percutante et formidablement timbrée dans tous les registres. Nous le rencontrerons à nouveau en mars 2026 sur cette même scène dans l’Armide de Lully. Un nom à suivre assurément. Quel bonheur de retrouver le Masetto de la veille, Adrien Mathonat, ici dans la sombre armure du Commandeur. Un modèle de phrasé, d’émission, de couleurs. Un Commandeur tellurique qui fait passer le grand frisson.
Un mot encore pour souligner les impeccables interventions au continuo de Levi Gerke ainsi que celles du Chœur du Capitole sous la direction de Gabriel Bourgoin.
Il faut le dire et le redire, la direction du jeune maestro Riccardo Bisatti est l’épine dorsale de cette réussite. D’une attention permanente aux interprètes, elle donne un élan vital à cette partition lui faisant ainsi traverser les multiples psychés de la condition humaine.
Terminons enfin en saluant le courage de Christophe Ghristi, directeur artistique du Capitole, qui n’hésite jamais à donner leur chance à de jeunes chanteurs dans des rôles puissants auxquels ils n’auraient peut-être jamais osé penser.
Robert Pénavayre
Représentations au Théâtre du Capitole jusqu’au 30 novembre 2025
Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr
Photos : Mirco Magliocca
