Homme de théâtre avant tout, de cinéma et de télévision aussi, l’Agenais Michel Fau creuse son sillon dans le monde lyrique tout en demeurant une personnalité incontournable parmi les acteurs de la scène française, comédien et metteur en scène confondus. Après avoir mis en scène, au Théâtre du Capitole, Ariadne auf Naxos en 2019, Elektra et Wozzeck en 2021, il réalise un rêve : un opéra de Richard Wagner. Christophe Ghristi lui confie Le Vaisseau fantôme.
Rencontre avec un homme heureux.
Comment avez-vous rencontré l’univers wagnérien ?
C’est très jeune que j’ai entamé mon parcours lyrique. Il y a eu d’abord Mozart, puis Verdi, Puccini et enfin Wagner. Le Ring a été pour moi comme une déflagration qui, à l’image d’une série, est devenue addictive. Je passais mon temps à l’écouter, j’ai acheté plusieurs dvds, j’ai littéralement potassé L’Avant–scène opéra sur le sujet. J’étais à peine majeur lorsque j’ai fait mon pèlerinage à Bayreuth. J’y suis bien sûr revenu plusieurs fois et là j’ai découvert l’œuvre de Wagner dans sa quasi intégralité. Ce compositeur a réveillé en moi une passion, celle du théâtre, car Richard Wagner est un homme de théâtre.
Ce Vaisseau fantôme est–il votre premier pas dans l’œuvre wagnérienne ?
J’ai eu une proposition pour Tristan en Allemagne il y a quelques années, mais le projet n’a pas abouti. Ce Vaisseau fantôme est donc mon premier pas dans l’univers wagnérien en tant que professionnel.
Est-ce la porte d’entrée idéale dans ce monde ?
Effectivement car cet opéra, de jeunesse faut-il le rappeler, est beaucoup moins compliqué à monter qu’un Ring ou que Les Maîtres chanteurs par exemple, mais en plus il contient encore quelques échos de styles divers, italiens et français.
Vous me déclariez en février 2019 votre passion pour Richard Strauss. Qu’en est-il de Richard Wagner ?
Votre question est difficile. En fait, j’ai pu me mesurer à Richard Strauss grâce à Christophe Ghristi qui m’a proposé Elektra et Ariadne auf Naxos. Il savait que je connaissais l’œuvre de ce compositeur et la passion que j’éprouvais pour ses ouvrages, notamment pour la modernité du langage musical qu’ils développent. Ma passion pour Wagner est équivalente même si elle se situe dans d’autres sphères.
Richard Wagner est l’objet de la part de certains mélomanes d’une véritable vénération. Comment peut-on analyser cette sorte de sectarisme unique d’ailleurs dans l’histoire lyrique ?
Vous avez raison mais j’ajoute que certaines personnes sont, de leur côté, totalement réfractaires à Wagner. Tout en étant très audacieux tant sur la durée de ses opéras que sur les thèmes ésotériques qu’il développe, Wagner est un compositeur révolutionnaire. Et l’on peut comprendre qu’il ait ses adeptes et ses détracteurs. C’est un homme de théâtre génial. Il n’est que de lire simplement les didascalies qui émaillent ses partitions. Tout est dit. Il n’y a qu’à suivre. Un exemple ? Wagner demande au Hollandais, un personnage mythique, de chanter le début de son grand air d’entrée … les bras croisés ! Comme j’estime qu’il est plus intelligent que moi, c’est comme cela que se présentera l’interprète au Capitole.
Vous venez d’employer le mot mythique. La vénération d’un certain public pour ce compositeur n’est-elle pas rattachée aux personnages de légende que le compositeur a mis en musique ?
Absolument car je pense que des spectateurs ont besoin de mythes pour que leur vie soit plus exaltante. Les nouvelles générations en sont friandes. Regardez Game of Thrones, toutes ces séries sur les vikings et même Pirates des Caraïbes qui n’est rien moins que l’histoire du Vaisseau fantôme.
Parlez-nous de ce Vaisseau dans le corpus wagnérien ?
On est en plein romantisme allemand, un romantisme violent, imprévisible, scandaleux, voire dérangeant et certainement pas fleur bleue. Pour en revenir à votre question, ce Vaisseau est incontestablement une œuvre pivot entre Rienzi et ses fortes influences meyerbeeriennes et Tannhäuser qui suivra immédiatement Le Hollandais volant.
Vous me confiiez en novembre 2021, au sujet de votre approche de Wozzeck, que vous aimez bien prendre les œuvres de manière frontale. Quelle est votre proposition pour ce Vaisseau ?
Ma hantise est de faire toujours le même spectacle. Je ne plaque jamais mon imaginaire sur un ouvrage. Mon imaginaire rebondit systématiquement sur un style, celui de l’opéra que l’on me confie. D’ailleurs, ce sont quatre scénographes différents qui m’accompagnent sur Elektra, Ariadne auf Naxos, Wozzeck et Le Vaisseau. Justement pour ce Vaisseau j’ai choisi Antoine Fontaine qui est un spécialiste de la toile peinte. Or je souhaitais que le décor devienne petit à petit le tableau qui obsède Senta. On s’est donc inspirés de la tradition en la sublimant, sans faire l’économie de visions naïves que l’on ne voit plus depuis longtemps comme par exemple les rouets du deuxième acte, des objets particulièrement poétiques. L’idée est de situer l’action fin 17e siècle et je crois qu’aujourd’hui c’est plus subversif que d’habiller les marins en costard-cravate. L’histoire ici est celle de fantasmes, une femme fantasme sur une image et un homme sur une femme qu’il n’a jamais rencontrée. Au final ce sont deux solitudes qui se réuniront dans la mort et le sacrifice. L’option musicale choisie au Capitole fait entendre à la fin le thème de la rédemption par l’amour qui bien sûr fait un écho assourdissant au final de Tristan. Pardon mais il ne faut pas avoir peur de se frotter à l’imagerie wagnérienne. Ou alors on fait autre chose.
Dans un précédent entretien vous citiez le chef d’orchestre Sébastien Rouland lorsqu’il vous disait : Le naturel ne m’intéresse pas, dans le théâtre c’est le surnaturel qui est important. Le livret du Vaisseau fantôme est un puit sans fond en la matière, non ?
Le livret du Vaisseau fantôme nous entraine très loin effectivement. Mon professeur de théâtre, Michel Bouquet, nous disait qu’il faut tenter de se hisser à la hauteur des écrivains que l’on interprétait plutôt que de les abaisser à nos contingences. Souvent les metteurs en scène contournent les problèmes, pas de rouets, pas de bateaux, etc. comme s’ils avaient peur de monter Wagner selon ses souhaits.
Tracez-nous le portrait des personnages principaux tels que vous les appréhendez ?
Le Hollandais est maudit car il a tutoyé Satan. Il est donc damné éternellement sauf s’il rencontre une femme qui lui sera fidèle. Et c’est pour cela que tous les 7 ans il jette l’ancre dans un port avec son équipage, lui aussi maudit. A l’image de Macbeth ou Wozzeck c’est l’être humain face à la folie du monde et à la tentation de l’interdit. Il est clairement pétri de culpabilité. Je vois Senta comme une jeune fille bipolaire qui fantasme, comme beaucoup de gens, sur une image, traumatisée qu’elle est depuis sa plus tendre enfance par une légende que lui chantait Mary. Aujourd’hui elle serait fascinée par Tik Tok. Son imaginaire devient un refuge dans lequel elle s’isole complétement de la société. En toute confidence j’ai un peu vécu cette expérience, je dois dire assez déprimante finalement. Il est vital de « faire » des choses dans la vraie vie, c’est la seule façon de s’élever. Erik est un très beau personnage, totalement tragique et désespéré du début à la fin de l’opéra. Il est comme un frère de Werther, hyper romantique. Le père de Senta, Daland, est beaucoup plus intéressant que ce que l’on en fait d’habitude. Certes c’est un homme cupide mais écoutez bien ce qu’il dit au premier acte, là nous découvrons un homme terriblement tourmenté, qui invoque, lui aussi, Satan…
La partie chorale est très importante à tous les points de vue. Comment traitez-vous cette phalange ?
Je n’aime pas faire bouger pour bouger, je veux que le mouvement sous-tende un sentiment. Je soulignerais plutôt le magnifique travail de Christian Lacroix sur les costumes des choristes. Les femmes ont des costumes entièrement brodés, certes inspirés du folklore mais il les a sublimés. Les marins ont des vêtements qui semblent patinés, comme s’ils avaient des années de navigation derrière eux. Quant à l’équipage maudit je vous laisse la surprise de le découvrir !
Etant devenu un « familier » du Capitole, il était évident que vous alliez retrouver un autre habitué de notre scène, le chef d’orchestre Frank Beermann.
Nous avons fait Elektra ici. Ce fut un spectacle compliqué car l’immense orchestre straussien était sur scène. Nous nous sommes très bien entendus car Frank est heureux d’avoir un metteur en scène qui connaisse l’opéra mais aussi les chanteurs. Pour moi il est capital que le chef d’orchestre et le metteur en scène parlent d’une même voix et travaillent main dans la main. D’autant que pour moi la référence c’est la partition.

Quel impact a sur vous personnellement un premier pas dans l’univers wagnérien ? Est-ce comme une consécration ?
Tout à fait ! Se plonger dans cette musique et cette histoire élève l’âme incontestablement. Travailler sur un ouvrage pareil est totalement envoûtant. Je suis en admiration devant les chanteurs face à cette terrible partition, au temps qu’ils passent avec le chef pour telle ou telle nuance. On se demande parfois à quoi tout cela sert. Mais justement c’est cela qui est beau car c’est pour l’art et là nous touchons à l’essentiel de notre mission.
A une dizaine de jours de la générale à présent, Marie-Adeline Henry, qui devait chanter sa première Senta, l’un des deux grands rôles de cet ouvrage, quitte la production et est remplacée par Ingela Brimberg, immense soprano wagnérien. On peut imaginer que beaucoup de choses sont à reprendre, même si elle connaît parfaitement le rôle ?
Pour avoir chanté cet opéra sur plusieurs grandes scènes et dans plusieurs productions différentes, Ingela Brimberg connaît déjà parfaitement le parcours psychanalytique de Senta. Ce qui va certainement l’interpeller par rapport à son vécu professionnel avec cet ouvrage est de l’ordre de l’esthétique. Je ne suis pas du tout inquiet et, de toute manière, ce sont les péripéties du spectacle vivant.
Quels sont vos projets, lyriques ou pas ?
De suite après Toulouse, j’entre en répétition, en tant qu’acteur et metteur en scène, d’une pièce de jeunesse de Sacha Guitry, que j’adore : La Jalousie. C’est une histoire qui fait écho à Otello mais dans une version comédie élégante et bourgeoise. Ce sera en octobre au Théâtre de la Michodière, à Paris. Ensuite je reprends L’Enlèvement au sérail de Mozart à Tours et à Versailles où j’ai créé cette production. Voilà pour l’immédiat.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 6 mai 2025