Opéra

Don Giovanni, l’incontournable chef-d’œuvre, fait son retour au Capitole de Toulouse

Don Giovanni au Capitole de Toulouse. Mise en scène : Agnès Jaoui

C’est dans le cadre d’une très importante co-production, avec une avalanche de prises de rôles, deux distributions et la découverte d’un tout jeune maestro italien, que se font les actuelles reprises du Don Giovanni de Mozart au Théâtre du Capitole, après une éclipse de 12 ans du fronton de la célèbre institution toulousaine. Retour sur le triomphe public mémorable et justifié qui a accueilli la première distribution en ce soir du 20 novembre 2025.

Une nouvelle production faite pour durer

Les forces lyriques de Toulouse, Marseille, Montpellier, Dijon et Tours ont mis en commun leurs budgets (processus malin par définition !) pour financer cette nouvelle production du Don Giovanni mozartien. Les décors sont signés Eric Ruf. Faits de panneaux mobiles représentant les façades d’une ville sévillane au 18ème siècle, ils permettent dans une fluidité et un silence absolu de mouvements de modifier à vue les lieux de cette histoire. Superbement éclairés par Bertrand Couderc, ils sont l’univers idéal, fait de recoins et de ruelles, de voûtes et d’escaliers, pour laisser le héros épancher ses délires les plus divers. Les costumes de Pierre-Jean Larroque, issus des ateliers du Capitole, sont tout simplement somptueux, faisant alterner les couleurs vives du peuple avec les moirures chatoyantes et sombres de la noblesse.  La mise en scène d’Agnès Jaoui trouve ici un écrin idéal pour explorer les arcanes de la sensualité débridée du libertin le plus célèbre du théâtre lyrique. Devenu mythe de son vivant, celui-ci ne va pas hésiter à revenir des enfers juste avant le rideau final afin de défier des protagonistes éberlués…

Vincenzo Taormina (Leporello)

Maestro Riccardo Bisatti, la nouvelle pépite transalpine

Il n’a que 25 ans et vient de diriger Don Giovanni avec un savoir hallucinant. Il sait nous faire entendre, grâce à une science stupéfiante de l’orchestre, les plus subtiles des mélodies contenues dans cette partition, les moindres contre-points. S’il est attentif aux musiciens de l’Orchestre national du Capitole, il ne l’est pas moins aux chanteurs qu’il dirige avec un soin et une attention de chaque instant. Sous sa baguette, c’est une musique en symbiose parfaite avec l’esprit même de l’ouvrage, un dramma giocoso, alternant avec subtilité et virtuosité les moments à fort impact comique et ceux conjuguant les émois de Zerlina et Masetto ainsi que ceux d’une noblesse perturbée dans ses concepts moraux. Faisant alterner la plus fine des diaprures sonores avec des emportements et des crescendos telluriques, Riccardo Bisatti, véritable magicien du son, conquiert le public du Capitole qui lui réserve une ovation justifiée autant que personnelle au rideau final. C’est la première fois qu’il dirige en France et nous espérons tous qu’il intègre la fameuse « famille » capitoline dont Christophe Ghristi détient les secrets.

Andreea Soare (Donna Anna) et Dovlet Nurgeldiyev ( Don Ottavio)

Des pépites dans une distribution de très haut niveau

Cette première distribution nous vaut les débuts dans le rôle-titre de Nicolas Courjal.  Déterminé à nous en faire un portrait scénique d’une intense toxicité, il n’en explore pas moins pour autant toute la complexité d’écriture, allégeant sa voix jusqu’au murmure dans la célèbre Sérénade et la faisant rugir de jouissance dans l’air du champagne.  Vincenzo Taormina est un Leporello d’envergure, à tous le sens du terme, volant parfois la vedette à son maître.  Même si le grave est parfois ce soir confidentiel, la suite de la tessiture s’accorde parfaitement à la personnalité picaresque du personnage : médium charnu, aigu d’une belle autorité. Karine Deshayes incarne à merveille Donna Elvira, la dernière en date des épouses éplorées de Don Giovanni. Musicienne hors pair, elle nous donne son meilleur dans un phrasé et une musicalité d’une belle élégance. Andreea Soare chante une Donna Anna explosive. Son organe, puissamment projeté, parfaitement homogène sur toute la tessiture se plie à l’infernale partition que lui a réservée Mozart, avec un luxe d’ornementation dans les reprises qu’il convient de souligner. Pour ses débuts au Capitole, le ténor germano-turckmène Dovlet Nurgeldiyev incarne un Don Ottavio crédible, de par son port altier mais aussi par une science vocale qui fait de ses deux arias des moments suspendus d’une ineffable beauté. Lui également possède une tessiture parfaitement homogène dans tous les registres, une voix puissante qu’il sait alléger avec discernement, une science de la vocalise dont il nous prouve la solidité dans l’air du deuxième acte, et un souci de l’ornementation qui ne pouvait que combler le public.

Adrien Mathonat (Masetto) et Anaïs Constans (Zerlina)

L’autre pépite est aussi une découverte in loco, c’est la basse Adrien Mathonat. Dès son entrée son Masetto s’impose vocalement et scéniquement. Son timbre de bronze (il chante le Commandeur dans la seconde distribution !) déploie ses multiples couleurs tout au long d’une tessiture stupéfiante d’homogénéité, projetée avec une rondeur d’émission rarissime.  L’artiste est évident !  Un Masetto de luxe n’en doutons pas. Il chante Zuniga dans les prochaines reprises capitolines de Carmen en juin 2026. Souhaitons son retour au Capitole dans des rôles plus conséquents. Anaïs Constans est la Zerlina que l’on attendait, dans toute la clarté de son soprano et la naïveté qui sied à merveille à cette jeune paysanne aveuglée par le charisme d’un authentique prédateur sexuel au charme irrésistible. Quant à Sulkhan Jaiani, un autre « familier » de la maison, il ne fait bien sûr qu’une bouchée du Commandeur, lui offrant le timbre sépulcral de sa basse aux intonations d’outre-tombe.

Le Chœur de l’Opéra national du Capitole, malgré une partie peu importante dans cette partition, apporte néanmoins, sous la direction de Gabriel Bourgoin, son talent à la haute tenue d’un spectacle que l’on reverra certainement et rapidement au Capitole. C’est le principe même d’un théâtre de répertoire. Et lorsque la mission de service public d’une maison comme l’Opéra national du Capitole est menée de telle manière, on ne peut qu’applaudir.

Robert Pénavayre

Photos : Mirco Magliocca

Prochaines représentations jusqu’au 30 novembre 2025

Renseignements et réservation : www.opera.toulouse.fr

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