Entretiens | Opéra

Avec Don Giovanni, Agnès Jaoui se mesure à l’opéra des opéras au Capitole de Toulouse

Agnès Jaoui - Photo : Carole Mathieu Castelli

Celle qui a été élue pour la deuxième fois Présidente de la Cinémathèque de Toulouse en janvier 2025, ne quitte pas la Ville rose et investit le vaisseau amiral de sa culture, le Théâtre du Capitole. C’est en effet Agnès Jaoui qui s’est vue confier par Christophe Ghristi la mise en scène de la nouvelle production du Don Giovanni de Mozart. Un saut dans l’inconnu pour cette star du 7e art ? Pas tout à fait.

Rencontre

Classictoulouse : Quels ont été vos premiers pas dans le monde lyrique en tant que spectatrice ?

Agnès Jaoui : J’avais alors 14 ans à peine. Je me souviens c’était Simon Boccanegra de Giuseppe Verdi au Palais Garnier*.

Quels sont les spectacles lyriques qui vous ont marquée ?

Le Chevalier à la Rose de Richard Strauss avec Dame Felicity Lott et Anne Sofie von Otter à l’Opéra Bastille, mais aussi la Butterfly mise en scène par Bob Wilson. Bien sûr il y en a plein d’autres mais ce sont ceux-là qui s’imposent à moi d’emblée.

Ce Don Giovanni toulousain n’est pas votre première incursion professionnelle dans l’univers de l’opéra

Effectivement j’ai déjà mis en scène Tosca de Giacomo Puccini au Château de Vincennes, un spectacle en plein air, en 2019, et quelque chose de beaucoup plus rare, L’Uomo Femina, un opéra de Baldassare Galuppi (ndlr : compositeur vénitien – 1706-1785) à Dijon et à l’Opéra royal de Versailles en 2024 (ndlr : cette production vient de remporter le Prix de la Redécouverte le 13 novembre 2025 aux International Opera Awards d’Athènes).

Vous avez reçu 7 César qui soulignent l’importance de votre apport au 7e art, un univers dont vous connaissez les moindres arcanes. Même si ce n’est pas la première fois que vous mettez en scène un opéra, votre venue au Capitole avec une œuvre considérée comme l’opéra des opéras constitue néanmoins un vrai challenge dans votre parcours professionnel, non ?

Oui, quand même ! Ma première mise en scène se passait dans un cadre champêtre, extrêmement bienveillant et joyeux. Au Capitole, le challenge est autre car effectivement tout le monde connaît Don Giovanni, un opéra qui a interpellé déjà pas mal de metteurs en scène y compris au cinéma avec Joseph Losey en 1979. C’est une vraie étape dans ma carrière professionnelle pour répondre à votre question.

Lorsque Christophe Ghristi vous a proposé cette mise en scène, quelle a été votre réaction et avez-vous accepté immédiatement ?

Cela fait près de deux ans que j’ai eu cette proposition et je l’ai acceptée immédiatement car c’est un vrai cadeau, surtout venant d’une maison comme le Capitole. Je me suis dit de suite que cela ne se représenterait plus ; alors j’ai sauté le pas et depuis je vis avec Mozart jour et nuit. Je ne sais pas s’il faut croire au hasard mais pour tout vous dire le film que je suis en train de monter, d’ailleurs je l’ai quasiment fini avant de venir ci, se déroule pendant une production des Noces de Figaro, il s’intitule L’Objet du délit (ndlr : avec Daniel Auteuil et Agnès Jaoui, également actrice).

Comment s’est déroulée la suite de votre réflexion sur ce sujet ?

Le premier personnage qui s’est imposé à moi a été le Commandeur. Puis j’ai beaucoup échangé avec des amis mélomanes et j’ai réfléchi à l’équipe qui allait m’entourer : Eric Ruf pour les décors, Pierre-Jean Larroque pour les costumes, Bertrand Couderc pour les lumières, Pierre Martin Oriol pour la vidéo. L’important pour moi était aussi de trouver le ressort qui faisait exister le personnage de Don Giovanni car tous les autres ne font que réagir à ses actions. Pour ma part c’est un véritable malade, un drogué à tout et au-dessus des lois. Il s’imagine avoir les pleins pouvoirs.

Agnès Jaoui – Photo: Carole Mathieu Castelli

Quelle proposition allez-vous faire au public ?

Je fais ici ce que je pense savoir faire, en l’occurrence une vision très classique de cet ouvrage après avoir approfondi les écrits de Lorenzo Da Ponte, le librettiste, et de Mozart, le compositeur. Je veux aussi montrer toute une époque dans laquelle les classes sociales sont très fracturées et hyper importantes à respecter, toute une atmosphère corsetée et codifiée. Je m’applique également à ce que les chanteurs fassent bien « comprendre » leur texte. Mon souhait est que, même s’il y aura les sous-titres, le public comprenne ce qu’il se passe sur scène sans les lire. Le chant n’est pas tout.

Il est parfois de tradition de couper le concertato final et de clore l’ouvrage sur la descente aux enfers de Don Giovanni. Que va-t-il en être ?

En réalité c’était mon intention car la descente aux enfers de Don Giovanni est quand même un moment d’exception, d’une incroyable violence. Ceci étant, le maestro Riccardo Bisatti a souhaité le conserver tout comme d’ailleurs Christophe Ghristi et là je me suis inclinée devant de pareils spécialistes de l’ouvrage.

Peut-on vraiment comparer votre travail de réalisatrice de cinéma à celui de metteur en scène d’opéra ?

Oui et… non ! Oui quand il s’agit de réunir une équipe et non car, au cinéma c’est moi qui choisit la totalité des artistes et des techniciens. Quand je suis arrivée sur la production je ne connaissais pas grand monde à vrai dire donc il faut, dans un premier temps, créer un lien de confiance. Mais soyons clair, je ne suis pas capable encore de faire une distribution vocale de Don Giovanni, donc je m’intègre ici dans une équipe entièrement sélectionnée ou validée par Christophe Ghristi. Pour en revenir à votre question, ce travail n’est pas le même non plus car au cinéma, au travers du montage, je fixe le jeu de mes comédiens. Au théâtre comme à l’opéra, c’est différent, c’est le spectacle vivant et je sais parfaitement que, dès que je ne suis plus là, les chanteurs comme les acteurs reprennent une certaine liberté. C’est naturel car ce sont eux qui sont sur scène.

Les contraintes inhérentes au chant lyrique ainsi que le tempo qu’ordonne la partition sont-ils pour vous des impératifs dans votre direction des interprètes ?

Je tiens à ce que le mouvement des chanteurs comme du décor suive la partition. Et comme la partition est sublime…

Don Giovanni, décor : Eric Ruf – Photo : Bertrand Couderc

Comment se déroulent les répétitions alors que vous avez deux distributions à faire travailler ?

Ce sont deux distributions très différentes et avec en plus des prises de rôle. Christophe Ghristi affiche deux générations de chanteurs et donc fatalement ils ne ressentent pas la même chose. Je travaille avec chacun en étant au maximum à leur écoute.

Vous deviez faire vos débuts au Capitole en même temps que Tarmo Peltokoski. Ce ne sera pas le cas puisque ce dernier est remplacé par une star montante transalpine de la direction d’orchestre, le tout jeune maestro Riccardo Bisatti. Aviez-vous fait déjà un bout de chemin avec le directeur musical de l’Orchestre du Capitole concernant cette production ?

Non car nous devions commencer à échanger par WhatsApp, puis cela ne s’est pas fait car trop compliqué donc nous avions convenu de commencer à travailler lorsque j’arriverais. Je sais qu’il avait pour projet de supprimer l’ensemble final. C’est tout. Riccardo Bisatti est formidablement sympathique. Il est à l’écoute de cette production. Nous échangeons beaucoup tous les deux et ce n’est jamais conflictuel. J’ai compris également qu’il a beaucoup de respect pour les chanteurs. Ses tempi dans certains passages sont très rapides et cela me convient parfaitement.

En matière lyrique vos goûts personnels vous entraînent vers quel répertoire ?

Je nourris une véritable passion pour le baroque et le répertoire du lied, Schubert, Brahms et Schumann en particulier, sans oublier les cantates de Bach, tout un catalogue phénoménal, inépuisable. Un monde ! En vérité mes goûts sont quand même très variés et croisent autant Puccini que Verdi, Mozart, Mahler, etc.

Pouvez-vous nous confier deux ou trois ouvrages lyriques que vous aimeriez mettre en scène ?

Pas vraiment. Je préfère que l’on me propose un ouvrage. Aucune œuvre ne hante mes rêves.

Si cette dernière activité vous amenait à faire un choix entre les plateaux de cinéma et les théâtres lyriques…

Jusqu’à présent j’ai fait beaucoup de métiers et je suis arrivée à les conjuguer. J’ai pu constater aujourd’hui que chacune des activités artistiques que j’ai menées à ce jour se nourrissait mutuellement des autres. C’est une vraie richesse, non ?

Votre sentiment à l’approche de la première de ce Don Giovanni

J’ai le trac très clairement même si je suis confiante dans les interprètes. Nous sommes, à ce moment où nous nous parlons, à une semaine de la première et je peux vous dire que je continue à travailler sur le moindre détail, presque jour et nuit.

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 13 novembre 2025

  • Ndlr : même si le souvenir qu’en a Agnès Jaoui appartient à l’âge de son adolescence, on peut comprendre que ce spectacle l’ait marquée car il était mis en scène par Giorgio Strehler, dirigé par Claudio Abbado et comprenait dans sa distribution rien moins que Piero Cappuccilli, Katia Ricciarelli en alternance avec Mirella Freni, Nicolaï Ghiaurov et Veriano Luchetti. Excusez du peu !

Représentations au Théâtre du Capitole du 20 au 30 novembre 2025

renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr

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