La CIE Illicite que dirige de main de maître son directeur et chorégraphe, Fabio Lopez, depuis maintenant 10 ans, continue de grandir dans le respect d’un travail académique nourri aux fondements de la danse classique, mais étoffant aussi son répertoire d’un vocabulaire plus contemporain, faisant appel à des chorégraphes tels que : Hans Van Manen, Nacho Duato, Mauro Bigonzetti …
Fabio Lopez, comme il l’avait fait pour La Belle au Bois Dormant, revisite à nouveau l’un des grands ballets du répertoire classique, Le Lac des Cygnes. Pour cette vision résolument moderne, avant d’en arriver à la dramaturgie qui construira son ballet, le chorégraphe s’est, comme à son habitude, beaucoup documenté tant sur l’exégèse du ballet que sur Piotr Ilicht Tchaïkoski, que les mémoires de Lev Ivanov et son travail avec Petipa. Il a échangé avec Matthew Bourne, dont le Swan Lake de 1995, a marqué un tournant décisif dans la modernisation des grands ballets du répertoire.
ClassicToulouse : Fabio Lopez, comment en êtes-vous arrivé à cette nouvelle vision du Lac.
Fabio Lopez : A partir de ces études et des différents points de vue adopté par divers chorégraphes (accent mis sur Odette, Odette dansée par un homme, la longue rêverie de Siegfried voulue par Noureev) j’en suis arrivé à la réflexion que personne ne s’était penché sur le personnage de Rothbart. En réalité, je ne m’expliquais le pourquoi de la transformation en cygnes d’Odette et ses compagnes. Dans le script original, Rothbart n’existait pas , la transformation était l’œuvre, comme habituellement, de la belle-mère. En fait c’est le frère de Tchaïkovski, Modeste, qui a changé la donne, fusionnant le personnage de la belle-mère et du précepteur en celui de Robarth. Changement que le compositeur n’a pas connu, puisqu’il était décédé à ce moment-là. Je me suis dit-alors que je pouvais peut-être moi aussi, changer ou interpréter l’histoire. Robarth est appelé, selon les versions sorcier ou magicien. Un sorcier est un personnage méchant, malfaisant, guidé par des forces occultes. Le magicien, lui, a un pouvoir magique sur les choses et les personnes, et peu parfois faire le bien.
J’ai donc décidé de creuser cette idée, et de trouver pourquoi cette transformation en cygnes.

CT : Il est vrai que l’on a un peu de mal à comprendre pourquoi Rothbart semble être le maître des cygnes, et pourquoi cette malveillance envers Siegfried.
F.L. : J’ai donc pris la liberté de raconter une autre histoire : Rothbart, désespéré par la mort accidentelle de sa femme, tombant dans le lac au pied du château, transforme les membres de sa cour en cygnes afin que ceux-ci ne connaissent jamais le chagrin d’une telle perte. Pour la suite, j’ai conservé la chasse, la rencontre avec Odette, les danses au château pour l’anniversaire du prince, l’obligation qui lui est faite de choisir une épouse. Par contre, il me manquait un cygne noir ! Et puis l’inspiration est venue d’un danseur qui portait un tatouage noir et blanc. Je me suis dit alors : « Fabio, la réponse est devant tes yeux ! Tout est complémentaire : la femme, l’homme, la nuit le soleil… Et donc c’est lui le cygne noir ; ils se complètent». Ensuite, pour moi, il fallait un sacrifice. Sacrifier son humanité par pour l’amour, et Siegfried devient le Cygne Noir. J’ai trouvé ça intéressant aussi par rapport à Lohengrin. L’année avant la création du Lac (1877) Tchaïkovski est allé à Bayreuth voir Le Ring, et il a vu également Lohengrin, avec Siegfried d’une part et Le chevalier au cygne d’autre part. Je pense qu’il y a vraisemblablement une liaison avec le Lac. Et donc le Cygne Blanc-Odette amène le Cygne Noir-Siegfried vers des contrées dont on ignore tout. Et pour la fin du ballet j’ai en réalité deux fins possibles, je n’ai pas encore choisi ! Les danseurs en préfèrent l’une des deux. Le choix se fera en fonction de la lumière.

CT : Quand à la danse elle-même, vous êtes toujours fidèle à votre inspiration néoclassique bien sûr.
F.B. : Oui bien sûr c’est l’ADN de la Compagnie, sa base, avec d’autres apports. Pour la musique, bien sûr, la musique originelle. Et pour mon bal j’ai opté pour les Folies d’Espagne. A l’époque c’était très exotique, et je voulais utiliser la danse espagnole, rendre un hommage aux Folies, avec des éventails dans la danse, car n’oublions pas que ce sont les Portugais qui ont rapporter l’éventail en Europe. C’était aussi, pour moi, un hommage à mon peuple. Car l’éventail a un langage, mais c’est aussi une arme. Dans les ballets classiques, on voit toujours les filles danser avec des éventails, mais jamais les garçons. De même tous ls danseurs dansent avec un harnais sur le visage. Ils sont conditionnés par ce harnais. Ceci les enchaîne vraiment, ils sentent cette oppression, et c’est important pour l’interprétation.
CT : Nous attendons donc avec impatience cette nouvelle vision de ce Lac des Cygnes, dans votre version. Et si nous nous souvenons de votre Belle au Bois Dormant, nous ne doutons pas que ce Lac aura le même succès.
Propos recueillis par Annie RODRIGUEZ – le 7 février 2025
Représentation : samedi 15 février – 20h – Salle Lauga -Bayonne
Renseignements : 05 59 46 09 00