
Daphnis et Chloé – Chor. Thierry Malandain – © David Herrero
Dans les nombreuses manifestations qui célèbrent le 150ème anniversaire de la naissance de Maurice Ravel, le Théâtre National du Capitole nous a présenté un spectacle en forme d’hommage avec deux ballets illustrant les pages emblématiques du compositeur basque : le Boléro et Daphnis et Chloé. Spectacle complet s’il en fut tant la musique, le chant et la danse nous ont offert un moment de pur plaisir.
La première œuvre chorégraphique était signée du chorégraphe suédois John Singer. Le Boléro de Ravel et la musique d’Arvo Pärt servent d’écrin musical à une chorégraphie pleine d’une énergie fulgurante, qui, sur un rythme effréné, illustre une citation de Socrate, « les plus grands bienfaits nous viennent de la folie », texte à l’origine de l’inspiration de l’œuvre. Le rideau s’ouvre sur une scène occupée par un long mur gris, mur qui sera le pivot du ballet. Les danseurs, en effet, s’y accrocheront, pousseront des portes, le renverseront, s’y appuieront.

Il deviendra rue, espace de vie ou palissade au gré des figures de danse. La danse, elle, sera énergie, violence ou solitude, sur le rythme au tempo invariable, répétitif, obsédant du Boléro, jusqu’au crescendo final, avec au milieu de l’œuvre, une césure inattendue, un silence qui devient oppressant face à une danseuse se tient immobile près du mur devenu coin de rue, ou cachot( ?). Puis la musique reprend sur le même tempo, la même puissance pour que la folie reprenne possession de la scène. Alors qu’éclatent les bravos du public, la musique reprend sur les notes minimalistes du Für Alina d’Arvo Pärt qu’égrène un piano. Ce final, surprenant avouons-le, enlève un peu de la magie qu’avait naître le Boléro. Si tous les danseurs se sont donnés à cœur perdu dans cette folie dansante, soulignons ici les prestations du bondissant Philippe Solano, l’intensité dramatique de Solène Monnereau, ou l’infinie douceur de Kayo Nakasato dans son pas de deux avec Ramiro Gómez Samón.

Venez ensuite Daphnis et Chloé dans la vision qu’en a eu Thierry Malandain. Le décor de Jorge Gallardo, d’une sobriété remarquable, suggère grâce à trois colonnes inclinées en voile léger un lumineux paysage de Grèce. Le ballet débute par un trio qui met en scène Daphnis, Chloé et le dieu Pan. Malandain a construit pour eux une chorégraphie respectueuse de la grammaire classique qui définit parfaitement les caractères de ces personnages. Une danse incisive pour Chloé, plus dans le rêve pour Daphnis, dans la majesté et la bienveillance pour Pan. Le corps de ballet, quant à lui, déroule des chaînes qui s’enroulent, se déroulent à nouveau, entourant les solistes jusqu’à les absorber totalement. Il faut remarquer la cohésion des ensembles, leur uniformité rendue encore plus prégnante par l’uniformité des costumes, jupettes plissées identiques pour les filles comme pour les garçons du corps de ballet, ainsi que pour les personnages principaux, mais qui pour eux se parent de couleurs et de longueurs différentes, pour mieux marquer leur prépondérance.

La chorégraphie n’est pas sans rappeler les frises des temples grecs ou égyptiens. Mais, bien qu’harmonieuse, cette géométrie nous semble bien répétitive, nous rappelant parfois les rondes enfantines de nos cours de récréation. Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón interprétaient les deux protagonistes lors de la première distribution. Leur complicité sur scène est toujours aussi manifeste. Solène Monnereau et Kleber Rebello leur succédaient pour la deuxième distribution, et leur duo fut parfait. La haute stature d’Alexandre De Oliveira Ferreira nous donna à voir un dieu Pan solennel et bienveillant, tandis que celui de Philippe Solano nous apparu tout aussi bienveillant, mais peut-être plus proche de l’humain dans son interprétation. La sulfureuse Lycénion fut dansée alternativement par Tiphaine Prévost, aguicheuse en diable, et Kayo Nakasato royale. Quant à Jérémy Leydier, il fut, lui aussi, parfait dans le rôle de Dorcon.

Mais, les autres étoiles de la soirée furent, sans conteste, l’Orchestre National du Capitole et les Chœurs de l’Opéra national du Capitole. Sous la baguette du charismatique chef Victorien Vanoosten, les phalanges capitolines ont déroulé la musique de Maurice Ravel avec un brio, un sens du rythme pour le Boléro, une poésie, une délicatesse pour Daphnis ( Ah ! quel Lever du jour !) qui plus d’une fois nous a fait quitter la scène des yeux pour plonger dans la fosse. Le Chœur n’était pas en reste qui sous la houlette de Gabriel Bourgoin nous a donné une interprétation magistrale de Daphnis et Chloé, leur chant ruisselant depuis les hauteurs du Paradis. Lorsque la danse est ainsi accompagnée par un orchestre et un chœur de cette qualité, il est difficile d’avoir un meilleur spectacle.
Annie Rodriguez
