Festivals

Vigueur et passion

A côté des grands noms bien établis de la planète piano, le festival toulousain s’attache à soutenir les jeunes talents en émergence. Au lendemain du somptueux récital  d’Arcadi Volodos, c’est au jeune Alexandre Kantorow d’occuper la salle capitulaire des Jacobins, lieu qu’il avait déjà investi il y a deux ans. Il n’avait alors que dix-huit ans !
Né en 1997 dans une famille de musiciens (ses deux parents sont violonistes et son père est également chef d’orchestre) Alexandre Kantorow connait un fulgurant début de carrière. Ce jeune pianiste a commencé à se produire très tôt. A seize ans il était invité aux Folles journées de Nantes et de Varsovie avec le Sinfonia Varsovia, et il a depuis joué avec de nombreux orchestres tels que le Kansai Philharmonic Orchestra avec Augustin Dumay, le Taipei Symphony Orchestra, l’ONPL, l’Orchestre philharmonique royal de Liège, l’Orchestre de Genève… En 2015, il a participé à la saison inaugurale de la Philharmonie de Paris avec l’Orchestre Pasdeloup, ce dernier le réinvitant en 2017 pour un concert à la Salle Gaveau. Déjà présent dans le cloître des Jacobins en 2015, il était de retour le 23 septembre dernier pour le 38ème festival de piano.

Sa maturité, la vigueur de son jeu s’imposent immédiatement. Il possède à l’évidence une idée bien précise sur la manière de concevoir et de défendre un programme musical original. Il a ainsi choisi pour ce récital de réunir trois compositeurs passionnés de tradition tsigane. De Johannes Brahms à Béla Bartók, en passant par Franz Liszt (ou Liszt Ferenc pour insister sur ses racines hongroises), les œuvres présentées ce soir-là possèdent ce caractère éminemment magyar dont le jeune pianiste s’empare avec délectation et talent.

Le jeune pianiste français Alexandre Kantorow – Photo France Musique –

L’Allegro Barbaro, pièce courte et provocatrice de Bartók, ouvre la soirée sur une débauche rythmique qui fit scandale lors de sa création en 1921. Alexandre Kantorow en exalte avec gourmandise la frénésie percussive, la sauvagerie, révolutionnaires à l’époque (Prokofiev en fera également son miel). Son piano emplit la salle capitulaire des Jacobins jusqu’à l’extrême.

Cette impressionnante introduction est suivie de la plus folle des sonates du Brahms de dix-neuf ans, la Deuxième en fa dièse mineur. Manifestement inspirée de l’esprit de Fantaisie de son mentor Robert Schumann, cette partition éclatée pousse très loin la volonté de surprendre, voire de provoquer. D’ailleurs Schumann lui-même écrivit à ce propos au jeune compositeur : « Ta seconde sonate, mon cher ami, m’a beaucoup rapproché de toi. […] Une couronne de laurier pour ce Johannes qui vient d’on ne sait où ! » L’interprète relève le défi avec superbe. Il parcourt les quatre mouvements de la partition sans en adoucir les contours, la violence, ni l’étrangeté. L’Allegro non troppo, ma energico est ainsi pris à la lettre, avec coup de canon suggéré ! Une large palette de nuances souligne les contrastes, avec ici ou là, notamment dans l’Andante et le Scherzo, une échappée rêveuse.

La seconde partie s’ouvre sur la Rhapsodie en si mineur op. 79, toujours de Brahms. Mais d’un Brahms assagi et structuré, même si la véhémence agite cette courte pièce. Alexandre Kantorow en exalte l’élan juvénile tout en déployant une large gamme de nuances.

Le retour à Bartók ramène une certaine folie sur le devant de la scène. Sa Rhapsodie pour piano seul représente son opus 1. Achevée en 1904, elle précède de peu une version avec orchestre. Construite en deux sections contrastées, elle intègre des accents de musique populaire roumaine et hongroise. L’écriture ardemment virtuose suit en l’actualisant la piste défrichée par Franz Liszt. L’interprète y développe une belle palette de couleurs et de nuances. Il en souligne également le lyrisme de certains passages et même l’humour qui pimente la seconde partie.

Très logiquement, c’est à Liszt qu’il est fait appel pour conclure ce programme. Le pianiste ne choisit pas la plus connue de ses Rhapsodies hongroises. La n°11 en la mineur illustre parfaitement la volonté du compositeur qui déclarait à propos de ces pièces : « J’ai voulu donner une sorte d’épopée nationale de la musique bohémienne. » Le jeune pianiste délivre cette effervescence avec panache. La csardas qui conclut l’œuvre résonne de manière irrésistible.

Rien de tel pour susciter l’enthousiasme du public ! Acclamé longuement, Alexandre Kantorow prolonge cette atmosphère « Mitteleuropa » avec une certaine Valse triste du Hongrois Ferenc Vecsey, revue et « renforcée » par le grand György Cziffra, puis la douce Valse en la majeur de Johannes Brahms, histoire de calmer les esprits…

Un bel avenir musical s’ouvre à ce jeune et déjà grand talent.

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