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Une Carmen tout proche de l’original

Pour l’ouverture des Chorégies 2008, Raymond Duffaut  a offert à un public toujours aussi fidèle (18 000 personnes sur deux représentations !) une Carmen de classe internationale agrémentée de quelques passages rarissimes à la scène.  
Cet opéra est une œuvre de chef d’orchestre. Il faut le dire et le redire, la partition de Bizet contient quelques unes des plus belles pages de toute la musique française. C’est une œuvre difficile à diriger, pleine de chausse-trapes, de changements de climats, mais c’est aussi un opéra-comique qui se joue en temps ordinaire avec 62 musiciens, c’est dire le contenu de chaque note. Michel Plasson connaît cet ouvrage par cœur et avec son cœur. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, il nous en donne une version intensément dramatique mais sans pathos, profondément sensible mais sans affèteries. Du très grand art.

Surprise, la partition choisie pour ces reprises faisait la part belle à la nouveauté en incluant les couplets de Morales au 1er acte et l’intégralité du duo du 3ème acte entre José et Escamillo.

Plus discutable est la quasi intégralité des dialogues parlés, ceux-ci mettant dangereusement en lumière non seulement les problématiques idiomatiques dans un casting hyper international, mais également le talent pour le moins discutable des premiers rôles dans ce domaine. A noter que cette réserve ne s’applique nullement aux seconds rôles…

Baptême du feu réussi pour Nadine Duffaut

C’était sa première mise en scène en ce lieu de tous les challenges. Le pari était risqué, surtout face à une œuvre aussi emblématique. Pari remporté haut la main. Pas de transposition spatio temporelle ici, mais une illustration fidèle, lisible et  vivante du chef d’œuvre de Bizet. Illustration ne veut pas dire servilité. Nadine Duffaut, dans un souci narratif, fait intervenir La Mère de Don José dans les préludes, explicitant avec ses pantomimes le passé et le présent de son fils. Nadine Duffaut donne également un tout autre rôle à Micaëla, personnage absent de la nouvelle de Mérimée. C’est elle qui interviendra au final pour diriger le coup de couteau mortel de José, c’est elle aussi qui passera à son doigt la bague offerte par José à Carmen et que cette dernière vient de jeter. Même si Nadine Duffaut dépasse largement le livret, cette initiative a le mérite de bien cadrer José comme anti héros, victime et instrument du destin avant toute chose. Dans tous les cas, l’impact dramatique est bien là.

Entrée de Carmen (Béatrice Uria-Monzon) au 1er acte (Mise en scène Nadine Duffaut, scénographie Emmanuelle Favre) (Photo : Philippe Gromelle Orange)

Haut…les chœurs !

La partie chorale de cet opéra est longue et délicate. Intervenant à chaque acte, ils sont un vrai personnage indispensable à chaque scène. Sous la direction de Patrick Marie Aubert (chef des chœurs du Capitole de Toulouse), les masses chorales  d’Angers-Nantes Opéra, de l’Opéra-Théâtre d’Avignon, de Toulon, de Tours et l’Ensemble Vocal des Chorégies d’Orange ont accompli un travail remarquable de justesse et de musicalité. Il fallait le souligner.

Tout comme d’ailleurs l’excellente tenue des seconds rôles : Magali de Prelle (Frasquita), Karine Deshayes (Mercédès), François Harismendy (Zuniga), Olivier Grand (Le Dancaïre), Florian Laconi (Le Remendado) et Olivier Heyte qui, du fait du choix éditorial, bénéficiait d’un  Moralès largement valorisé.

Si le José de Marcelo Alvarez fit entendre en fin de soirée des accents véristes préoccupants et déplacés, ainsi que des aigus ayant tendance à s’amincir, voire à se décolorer, force est de constater la superbe ligne de chant que ce ténor sait aussi parfois déployer, en particulier dans une « fleur » absolument sidérante de phrasé.

La Carmen de Béatrice Uria-Monzon a écumé les plus grandes scènes de la planète. La revoici à Orange pour la troisième fois. L’aigu demeure souverain, rond, bien timbré, puissant. Dommage alors qu’en ce 15 juillet le manque de projection dans le medium et le grave ait laissé dans l’ombre pas mal de répliques. Cela dit, le personnage est toujours là, royal de présence, complètement enivré par son esprit libertaire.

Pour ses débuts à Orange, la soprano albanaise Ermonela Jaho incarne une Micaëla au timbre lumineux et à la ligne de chant parfaitement maîtrisée. Angel Odena est un Escamillo de bonne facture, voix puissante et homogène. Lui aussi bénéficiait à plein du choix éditorial, son personnage prenant au 3ème acte une tout autre consistance.

Conditions atmosphériques idéales, spectacle chaleureusement accueilli.

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