Avec comme fil conducteur l’œuvre du grand Jean-Sébastien Bach, le festival Passe ton Bach d’abord a défendu, une fois encore, une programmation articulant musiques classiques et actuelles. Pendant ce long week-end à cheval sur les mois de mai et de juin, une multitude de concerts a animé la ville qui a respiré au rythme de l’œuvre du maître de la musique baroque. Différents formats sous forme de parcours musicaux à travers la ville et son patrimoine, ont signé une nouvelle édition pleine de souffle. L’Ensemble Baroque de Toulouse et son fondateur et Directeur musical Michel Brun y multiplient les interventions.
Une ouverture flamboyante et raffinée
Le vendredi 31 mai à 20 h 30 en l’église Saint-Jérôme, l’Ensemble Amarillis ouvre cette édition 2024 du festival. Sous la direction artistique et aux côtés de la flûtiste à bec et hautboïste Héloïse Gaillard sont réunis Alice Piérot, violon, Gauthier Broutin, violoncelle, Laurent Le Chenadec, basson, et Brice Sailly, clavecin.
Présenté par Héloïse Gaillard elle-même, le programme musical permet la découverte ou la redécouverte d’un groupe exceptionnel de compositeurs baroques. Autour des deux piliers incontestables que sont Johann Sebastian Bach et Georg Philipp Telemann, resplendissent les noms bien moins connus de leurs contemporains Johann Friedrich Fasch, Jan Dismas Zelenka et David Heinichen. Deux pièces de Fasch, dont une très virtuose sonate pour deux hautbois, caractérisent le talent d’un compositeur injustement oublié autant que celui des deux solistes. De Zelenka, moins rarement joué, la sonate pour violon, basson et basse continue exige du basson un déploiement virtuose parfaitement assumé par Laurent Le Chenadec. Deux sonates, l’une pour violon, viole et flûte, de Bach lui-même, l’autre en trio pour deux hautbois et basson de Heinichen, ainsi qu’un concerto pour violon et hautbois de Telemann complètent ce voyage magique en terre baroque. Un bis en forme de retour vers Bach le grand (le mouvement lent du Concerto brandebourgeois n° 2) boucle la boucle.
Quelques grands moments du samedi 1er juin
La multiplication des événements musicaux proposés entraîne celle des publics attentifs et passionnés qui se pressent dans les lieux les plus divers. Parmi les presque trente rencontres programmées ce samedi se distinguent celles qui permettent de renouer avec le répertoire des Motets de Bach, si rarement proposés. Et en particulier le plus développé, le plus célèbre d’entre eux, celui qui porte un titre bien connu, le Motet BWV 227, Jesu, meine Freude (Jésus, ma joie). Chanté à 15 h en la Chapelle de l’Hôtel Dieu par le Chœur Baroque de Toulouse dirigé par Michel Brun, il est néanmoins le plus étrange, ainsi que le présente avec pédagogie et humour Michel Brun lui-même, expert en connaissance « bachique » !
Le texte des chorals, dû au poète Johann Franck, est divisé en six strophes qui forment les 1re, 3ème, 5ème, 7ème, 9ème et 11ème parties du motet. Ces chorals alternent avec les éléments du motet lui-même qui évoquent une succession de récitatifs. Les chanteurs du chœur sont accompagnés par une basse continue instrumentale composée d’un violoncelle, d’une contrebasse et d’un orgue positif. Les alternances d’atmosphère sont habilement soulignées par les chanteurs et par leur chef.
Un peu plus tard dans l’après-midi, à 19 h dans la salle capitulaire du couvent des Jacobins, l’Ensemble Baroque de Toulouse, toujours dirigé par Michel Brun, offre une exécution mémorable de la Cantate BWV 204 – Ich bin in mir vergnügt – dont le titre français, Je me contente de mon sort, l’a souvent qualifiée de « Cantate du contentement ». L’œuvre est écrite pour flûte traversière, deux hautbois, deux violons, alto et basse continue ainsi qu’une soprano soliste. C’est évidemment MicheI Brun qui joue la partie de flûte traversière. Et c’est un pur bonheur d’écouter et de voir Clémence Garcia dans la sublime partie de soprano. Que ce soit avec l’ensemble orchestral, avec violon solo et basse continue, ou en duo avec la flûte, la voix lumineuse de la cantatrice confère tout son charme au texte et à la partition. L’expression des mots ainsi que celle des notes aboutissent à un équilibre parfait. Le succès est tel que les interprètes doivent reprendre l’aria final jubilatoire : Himmlische Vergnugsamkeit (Contentement céleste) !
En fin de soirée, à 21 h, le même lieu est investi par le même Ensemble Baroque, toujours placé sous la direction de Michel Brun, dans un programme de concertos de Johann Sebastian Bach. Illustrant le thème du festival « Un nouveau souffle », il s’agit des trois seuls concertos écrits par Bach pour un instrument à vent. A l’exception, comme le rappelle Michel Brun, des Concertos Brandebourgeois. Le Concerto pour hautbois d’amour et orchestre en fa majeur BWV 1053 ouvre la session. Xavier Miquel, le soliste, déploie ici cette belle et douce sonorité qui caractérise cet instrument ainsi que l’écriture « à l’italienne » de cette partition.
Bien différent apparaît le rarissime Triple concerto pour clavecin, traverso, violon et orchestre en la mineur BWV 1044. Lucille Chartrain est au clavecin, Michel Brun au traverso et Laurence Martinaud au violon. La forme différente de la composition de ses trois mouvements en fait une œuvre à part. En particulier, la magie de son Adagio ma non tanto e dolce, réservé aux seuls instruments solistes sans orchestre, naît de sa forme « chambriste » qui instaure un dialogue subtil entre eux. Un pur moment de bonheur ! La fugue qui conclut cette pièce contribue à faire de ce concerto un chef-d’œuvre dont on peut s’étonner de sa rareté d’exécution.
Le troisième concerto offert, en do majeur BWV 1060, est le plus souvent programmé. Il est écrit pour violon et hautbois. Laurence Martinaud au violon et Xavier Miquel au hautbois en transmettent l’extrême vitalité, soutenus en cela par l’ensemble orchestral.
Bach l’Espagnol, l’apothéose en folie
C’est la grande salle du Metronum qui accueille cette fois la séance finale du festival. Cette manifestation en forme de conclusion illustre cette année l’étrange rapport entre Bach et l’Espagne, alors que le compositeur n’a presque jamais quitté ce centre de l’Allemagne qui l’a vu naître. Ce rapport est lié au fait que lui aussi a cédé à l’engouement incroyable qui s’est emparé de toute l’Europe musicale pour les « Folies d’Espagne » ou Folias, cette danse originaire de la péninsule ibérique.
Le déroulement de cette soirée mémorable illustre un dialogue fertile entre les musiciens de l’Ensemble Baroque de Toulouse et un groupe invité d’artisans imaginatifs des musiques traditionnelles, mais également rompus à la pratique classique. Ainsi, à côté de l’Ensemble dirigé par Michel Brun interviennent alternativement ou conjointement le guitariste flamenco Serge Lopez, le saxophoniste et compositeur David Haudrechy, l’accordéoniste Grégory Daltin et le percussionniste Florent Tisseyre, tous profondément musiciens et animés d’un sens irrésistible de l’énergie rythmique.
Le fameux thème des Folies d’Espagne ouvre, tout d’abord en petit comité, cette dernière rencontre. Les interventions de l’Ensemble Baroque et celles du groupe invité alternent ou se superposent et font de cette soirée une série de variations sur ce « tube » d’époque. On entend successivement les interprétations imaginées par les plus grands compositeurs baroques. Corelli, Vivaldi, Geminiani, Lully et même… Bach lui-même ont cédé à cette folie, l’adaptant à leur style personnel. Quelques séquences oniriques alternent avec les déchaînements irrésistibles des artistes invités. En particulier, un solo explosif de percussion de Florent Tisseyre met le feu à toute l’assistance !
Saluons l‘énergie et le sens profondément musical de chacun, tous longuement acclamés par un public sous le charme. La perfection technique, tant de la lumière que du son, doit tout aux techniciens de cette grand salle du Metronum qui reçoivent eux aussi une belle ovation.
Michel Brun, l’artisan principal de l’événement, conclut la soirée et ce 16ème festival avec ses remerciements chaleureux et émus qu’il adresse à tous les musiciens, à tous les intervenants et aux bénévoles dont le travail permet la réussite de ce défi annuel. Longue vie à Passe ton Bach d’abord !
Serge Chauzy