Le 44ème festival Piano aux Jacobins poursuit sa présentation des talents les plus originaux de la planète de l’instrument. Le 14 septembre, l’Islandais Víkingur Ólafsson a subjugué le public nombreux venu assister à son interprétation d’un monument de la littérature pour le clavier, les fameuses Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach.
Devenu l’un des artistes les plus recherchés d’aujourd’hui, Víkingur Ólafsson, né en 1984, a reçu de multiples récompenses, notamment celle de la personnalité nordique internationale de l’année de CoScan (2023), le Prix Rolf Schock pour la musique (2022), celui de l’artiste de l’année du magazine Gramophone (2019)… En 2023, il est nommé pour trois prixOpus Klassik, dont celui d’Instrumentiste de l’année.
Ses enregistrements pour Deutsche Grammophon – Philip Glass Piano Works (2017), Johann Sebastian Bach (2018), Debussy-Rameau (2020), Mozart & Contemporaries (2021) et From Afar (2022) – ont attiré l’attention du public et de la critique. Sa relation privilégiée avec l’œuvre jouée ce 14 septembre au cloître des Jacobins est telle qu’en octobre 2023 sortira chez Deutsche Grammophon un nouveau disque très attendu de ces Variations Goldberg. En outre Víkingur Ólafsson réalisera en 2023-24 une tournée mondiale, interprétant l’œuvre sur six continents tout au long de l’année et la présentant dans de plus grandes salles de concert ! C’est dire la proximité extrême de l’œuvre et de son interprète.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler la genèse d’un tel monument musical. Publiées en 1742, les Variations Goldberg constituent le quatrième et dernier volet du Clavier Übung, commencé plus de dix ans plus tôt. Leur dédicataire, Johann Gottlieb Goldberg, claveciniste de grand talent au service du Comte Herman von Keyserlingk, aurait demandé à Bach d’écrire quelques pièces qu’il pourrait jouer à son maître afin de le soulager de ses insomnies nocturnes ! Au-delà de l’anecdote, probablement inventée, cette œuvre s’avère être l’un des chefs-d’œuvre les plus complexes et les plus originaux de la pensée musicale.
Les plus grands clavecinistes et pianistes ont abordé cet Everest du clavier, chacun apportant sa propre contribution à cette géniale mosaïque qui se présente comme une série de 30 variations sur un thème unique, ou Aria, énoncé en ouverture et rappelé en guise de conclusion. Si certains interprètes choisissent d’individualiser chaque variation, Víkingur Ólafsson s’engage sur la voie de la synthèse. Sous ses doigts, et surtout dans son esprit, les pièces de ce puzzle fabuleux sont intelligemment liées les unes aux autres, comme pour donner une perspective globale de l’œuvre. Le pianiste réalise ainsi les plus subtiles transitions entre les éléments constitutifs de l’ensemble que parfois il enchaîne directement, parfois il sépare d’un silence toujours musicalement justifié.
Autre spécificité de son interprétation très personnelle, le pianiste ne cherche pas à imiter le clavecin. Il reste fidèle au caractéristiques et aux possibilités de son instrument tout en respectant l’esprit de l’œuvre.
La plus intense émotion émane de l’Aria en sol majeur, sobre et serein d’apparence, qui ouvre toute l’œuvre. Lors de son retour à l’issue de la variation 30, comme le souvenir d’une vie passée, l’émotion est encore décuplée.
Notons que malgré l’extrême complexité contrapuntique de l’écriture, chaque structure musicale reste d’une lisibilité exemplaire sous les doigts de l’interprète. Chaque voix de la polyphonie est audible et joue son rôle. En outre, malgré la multiplication et la richesse des nuances sollicitées, cette interprétation ne sombre jamais dans un romantisme hors de propos. Les couleurs les plus élaborées naissent grâce à la riche diversité du toucher du pianiste. Si les variations les plus virtuoses éclatent de vitalité, les plages de méditation touchent au plus profond. C’est notamment le cas de la variation 15, la seule assortie d’une indication de tempo, Andante en l’occurrence, qui émeut profondément. C’est sur l’Aria da capo final, énoncé dans la plus extrême retenue, que l’on arrive au terme du voyage. La tension soutenue tout au long de l’œuvre peut enfin se relâcher. Le long silence qui laisse s’évanouir l’écho du denier accord en dit long sur l’émotion qui étreint l’assistance. Les triomphales acclamations qui éclatent enfin témoignent de l’impact sur le public de cette exécution magistrale.
Fort logiquement, aucun bis ne viendra polluer ce moment d’éternité vécu en commun.
Serge Chauzy
Programme du concert donné le 14 septembre 2023 au cloître des Jacobins
- J. S. Bach
– Variations Goldberg BWV 988
Toutes les informations sur le festival Piano aux Jacobins : https://www.pianojacobins.com/