Il est rare qu’une mise en scène stérilise une représentation d’opéra. C’est hélas le cas avec cette production de Tannhaüser, signée Sebastian Baumgarten et donnée le 28 août dernier au Festspielhaus de Bayreuth. Une distribution de bon niveau, un orchestre et un chœur toujours aussi excellents ne peuvent rattraper les délires insensés d’une production dont on se demande comment la justifier…
Les explications données par Sebastian Baumgarten dans le programme du spectacle ne répondent pas vraiment aux questions que pose son travail, elles tendraient plutôt à les enfumer. Il paraît que pour comprendre il faut saisir les allusions au groupe de rock métal Rammstein dont le metteur en scène aurait d’ailleurs aimé pouvoir utiliser les musiques. Peut-être les choses auraient-elles été plus claires. Avouons humblement nos lacunes en matière de culture rock, une culture tout à fait respectable par ailleurs, et demandons-nous : à qui s’adresse donc vraiment une telle production ? La question reste posée.
Quoiqu’il en soit, rien ne se passe comme prévu dans ce spectacle. Le rideau est levé lorsque les spectateurs pénètrent dans la salle. Sur la scène, occupée par une usine de fabrique de biogaz, s’agite une foule de travailleurs qui vaquent à leurs tâches. Les réservoirs et les tuyauteries de toutes couleurs sont censés fabriquer et transporter ce précieux gaz, à partir de déchets humains que l’on introduit ici ou là. Il vaut mieux ne pas savoir de quels déchets il s’agit. Alors que débute l’ouverture, on découvre sur un écran à moitié caché par une passerelle la radiographie d’une cage thoracique… Et ainsi de suite.
Le Venusberg émerge du sol de manière plutôt réussie, découvrant les amours de Tannhaüser avec une Vénus enceinte. De curieuses créatures (têtards, spermatozoïdes ?) obéissent à la déesse…
Le dispositif scénique unique : l’usine de retraitement des déchets humains
– Photo Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath –
Le reste de l’action est totalement abscons pour celui que serait tenté de découvrir ainsi l’œuvre elle-même. Mentionnons la présence de projections vidéo illustrant des événements énigmatiques, comme cet étrange comportement d’une femme nue se frottant frénétiquement contre les cuves de l’usine de production. On assiste même à son passage sur un siège de WC…
Où est passée l’intrigue écrite par Wagner ? Mystère. La plupart des scènes sont menées, avec virtuosité il est vrai, comme s’il s’agissait d’une comédie de boulevard. Le concours de chant de la Wartburg ressemble à la fête de fin d’année d’une école. Lorsque Wolfram chante sa belle Romance à l’étoile, il esquisse une valse avec… Vénus.
De retour de Rome, les pèlerins, qui s’avèrent être les « techniciens de surface » de l’entreprise, sont pris d’une frénésie de nettoyage et frottent tout ce qui leur tombe sous la main. La Pape aurait-il décérébré ces pauves pèlerins ? L’apothéose finale coïncide avec la naissance de l’enfant de Vénus qui passe de main en main. C’est un scoop : Tannhaüser est donc le père de Cupidon !
On pourrait se contenter de fermer les yeux et de seulement écouter. Mais curieusement l’interprétation musicale et vocale souffre de ce traitement au forceps ( !). Certes l’orchestre, dirigé par Axel Kober, distille toujours ses belles sonorités, mais il semble que le cœur n’y soit pas. Une fois encore les forces chorales font des merveilles et résistent bien au traitement scénique qu’on leur fait subir. Les interprètes solistes sont tous parfaitement adaptés à leur rôle. Torsten Kerl assure le rôle-titre avec sa solidité habituelle, néanmoins sans trop de finesse vocale. Tous les chevaliers (ici tantôt des employés de l’entreprise, tantôt des moines) remplissent bien leurs fonctions. Le Wolfram de Michael Nagy, beau timbre grave, mériterait d’être entendu dans d’autres circonstances. Le Landgrave de Günther Groissböck, délivre ses interventions royales de sa somptueuse voix de basse.
Vénus connaît ce soir-là un sort particulier. La titulaire du rôle, Michelle Breedt, vocalement impériale mais blessée au pied, doit se contenter de chanter brillamment la partition, alors que Jasmina Hadziahmetovic en mime le jeu avec talent. Camilla Nylund possède à la fois l’allure et la fraîcheur vocale d’Elizabeth. Katja Stuber joue et chante admirablement le petit rôle du pâtre, qui ici titube sous les effets de l’alcool que distille la fabrique dans l’une de ses cuves. C’est indiqué dessus, on ne peut pas se tromper.
Oui, hélas, un bien triste Tannhaüser…