Festivals

Polyphonie spatiale, musique des sphères

Créé en 1985, le Festival Radio France Montpellier, initialement circonscrit à la région Languedoc Roussillon prend désormais la mesure de la nouvelle grande région Occitanie et accède, en 2017, à de nouveaux lieux prestigieux. Son concert d’ouverture vient de mettre en lumière un site proche de Toulouse, celui de la Basilique Sainte Germaine, haut-lieu de pèlerinage de la petite cité de Pibrac, aux portes de Toulouse. A l’occasion des trente ans de sa fondation, l’ensemble vocal et instrumental Le Concert Spirituel, fondé et dirigé par Hervé Niquet, conviait ce 10 juillet le public à la découverte d’inédits de Monteverdi, Palestrina, Frescobaldi et surtout d’Orazio Benevolo, génie oublié de la polyphonie et de la polychoralité.
Construite par l’architecte Pierre Esquié à partir de 1901, année où on y posa la première pierre, la Basilique Sainte Germaine, de style romano-byzantin, ne fut achevée qu’en 1967. Ce lieu de pèlerinage à l’étrange architecture, édifié en l’honneur de la Sainte Pibracaise, révèle en fait une acoustique parfaitement adaptée à la musique qu’Hervé Niquet et son Concert Spirituel défend depuis des années. La résurrection de la Messe Si Deus pro nobis d’Orazio Benevolo constitue l’épine dorsale du programme présenté ce 10 juillet dernier, en ouverture du « nouveau » Festival Radio France Occitanie Montpellier.

De père (pâtissier) bourguignon émigré à Rome, Orazio Benevolo (1605 – 1672), compositeur prolixe, fut un grand propagateur de la polychoralité. Jeune garçon, il intégra la Maîtrise de Saint Louis des Français, et par la suite, organisa tout au long de sa vie des cérémonies et liturgies représentant le faste de l’Art français à Rome. Il eut l’honneur de finir sa carrière comme maître de chapelle au Vatican.

Une partie des huit choeurs du Concert Spirituel entourant le public
dans la Basilique Sainte Germaine de Pibrac

Hervé Niquet a découvert l’œuvre de ce grand compositeur grâce à Jean Lionnet, musicologue au Centre de musique baroque de Versailles, qui eut accès au fonds musical du Vatican, duquel on ne pouvait faire sortir aucun document. Jean Lionnet copia, à la main, des années durant, partie après partie, l’œuvre de nombreux compositeurs italiens tombés dans l’oubli… dont celle de Benevolo. Grâce à l’aide précieuse de Philippe Canguilhem (professeur et musicologue à l’Université Jean-Jaurès et musicien émérite) et de la claviériste Elisabeth Geiger, cette Messe de Benevolo peut enfin revoir le jour.

Afin de rendre aussi lisible que possible l’écriture polyphonique de cette partition complexe à huit chœurs, Hervé Niquet a imaginé un étonnant dispositif spatialisé. Les effectifs vocaux et instrumentaux se répartissent dans la nef centrale en huit ensembles tout autour du public, celui-ci se trouvant ainsi au cœur de la musique. Chaque chœur est composé de voix et d’instruments différents. Ici un orgue régale, là un violoncelle, ailleurs des bois ou encore des cuivres. En outre, suivant en cela les coutumes de l’époque, d’autres pièces vocales et instrumentales s’intercalent entre les différentes sections (les « ordinaires ») de la Messe. La pureté du plain chant ainsi que de somptueuse pièces de Claudio Monteverdi, Girolamo Frescobaldi ou encore Giovanni Palestrina soulignent ainsi la richesse du paysage polyphonique de l’époque.

Restait le problème de la réalisation technique découlant de la dispersion d’un tel dispositif. La parfaite et nécessaire synchronisation des huit ensembles est réalisée grâce au relai d’un chef par chœur. Hervé Niquet donne le tempo en battant la mesure avec rigueur, une mesure reprise par chaque chef de chœur, permettant ainsi à tous les exécutants de respecter ce synchronisme indispensable. Les huit chefs agissent ainsi comme de vivants métronomes, tout en assurant la souplesse nécessaire. Il fallait y penser !

Hervé Niquet dirigeant la Messe Si Deus pro nobis – Photo Jean-Jacques Ader –

Le puissant développement de la Messe et de ses « ajouts » se déroule alors dans une fascination presque hypnotique et l’étrange beauté des transitions. La Procession en plain chant ouvre la soirée sur un vibrant crescendo. A cette monodie des origines, suivie de l’éblouissante polyphonie du motet Cantate Domino, de Monteverdi, succède enfin le vaste Kyrie de la Messe Si Deus pro nobis. Cette ouverture monumentale donne le vertige. Entre la solennité du Gloria, l’ardeur brûlante du Credo se glisse la pureté originelle du Graduel en plain chant. Ces périodiques retours vers le grégorien agissent comme une source rafraîchissante. En outre, quelques pièces instrumentales viennent baliser la progression de la Messe. Dans le Beata es, Virgo Maria, de Palestrina, comme dans l’Offertoire Canzone, de Frescobaldi, la spatialisation met en évidence l’écriture en écho et la virtuosité des musiciens qui s’appellent et se répondent. Les sacqueboutes et le cornet à bouquin (dont un très beau solo de ce dernier) s’opposent ainsi aux anches des doulcianes ou aux flûtes comme dans le Pater noster de Palestrina.

Cette progression trouve son apothéose dans le Magnificat à 16 voix dans lequel les chœurs sont donc amenés à se dédoubler. Un élan irrésistible, renforcé par une ornementation riche et imaginative, conclut cette étonnante résurrection d’une musique des sphères, d’un art polyphonique foisonnant, résurrection qui doit beaucoup à son infatigable artisan , Hervé Niquet, ainsi qu’à l’engagement enthousiaste de ses musiciens et chanteurs.

Le Festival Radio France Occitanie Montpellier s’ouvre sous les meilleurs auspices.

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