Festivals

 Ouverture, création et diversité

Les pianistes se succèdent et démontrent la diversité des talents actuels, des personnalités. Point de formatage chez les invités du festival. La première semaine en apporte la démonstration évidente.
Ouverture triomphale
Le 6 septembre, le concert d’ouverture célébrait, à la Halle-aux-Grains, la première apparition, dans le cadre du festival, du légendaire pianiste russe, Grigory Sokolov, néanmoins déjà présent à Toulouse en mars dernier au cours de la saison Grands Interprètes. L’antinomie est totale entre l’aspect massif et (faussement) bourru du personnage et la transparente légèreté de son jeu. Architecte réfléchi et cérébral, Grigory Sokolov construit ses édifices sonores, sculpte la matière musicale avec un soin méticuleux, un absolu contrôle de la sonorité, de la polyphonie et du rythme.
La Suite française n° 3, de J. S. Bach qui ouvre son récital resplendit de limpidité. Chaque plan reste audible dans un parfait équilibre des voix. Privilégiant le détaché, l’interprète se garde de toute tentation romantique. La perfection formelle s’accompagne pourtant d’une certaine légèreté du propos.
Cette grâce du phrasé gagne aussi la Sonate « La Tempête », de Beethoven, dont les accents dramatiques se trouvent ainsi lissés dans une rhétorique très recherchée, très intellectualisée, mais comme désincarnée.
Avec Schumann et sa vaste sonate n° 1, rarement jouée, le ton se fait plus offensif. Sokolov assombrit son toucher, anime les contrastes expressifs si caractéristiques des oppositions sur lesquelles le compositeur construit son discours.
Une impressionnante série de bis (quatre, puis cinq, puis six !), où Chopin se taille la part du lion, emportent tous les suffrages. Un triomphe du public conclut cette première soirée.  

Richard Goode, grand interprète de

Schubert.

Le jeune et infatigable pianiste

Nicholas Angelich.

Le compositeur français Bruno

Mantovani dont l’œuvre « Suonare »

était créée par Nicholas Angelich.

 
De Bach à Schönberg
Le lendemain, retour au cloître légendaire des Jacobins pour un passionnant récital de Richard Goode, grand artiste américain qui fut l’élève du légendaire Rudolf Serkin. La sonorité charnue sert l’engagement expressif qu’il met au service de ses exécutions. « Son » Bach, la Partita n° 5 en sol, contraste avec celui de la veille. Plus fluide, coloré de teintes veloutées, il ne renie pas l’influence romantique qui affleure ici ou là avec quelques dramatiques crescendos.
Soignant les contrastes, Richard Goode insère Schönberg entre Bach et Brahms. Les Six petites pièces pour piano, datées de 1911, véritable concentré de musique tout en tension à la limite de l’explosion, constituent une sorte de profession de foi de l’atonalisme. Le poids des silences y prend une importance capitale que Richard Goode souligne avec une intensité suffocante.
Les Fantaisies op. 116, l’une des dernières œuvres du vieux Brahms, musique crépusculaire, alternent révolte et méditation. Richard Goode, en exalte toute la profondeur grâce à une impressionnante palette de couleurs.
L’ultime sonate de Schubert (D 960) complète ce programme. L’interprète en traduit avec intensité la bouleversante humanité. Il résiste à la tentation d’en rajouter sur une musique qui se suffit à elle-même.
Mantovani créé par Angelich
Le concert du 8 septembre, généreusement animé par Nicholas Angelich, fut celui de la création de l’œuvre commandée par le festival au jeune compositeur Bruno Mantovani. Intitulée « Suonare » et présentée avec talent et simplicité par son auteur, cette partition toute fraîche joue sur les extrêmes du clavier. Constituée de plusieurs couches rythmiques et mélodiques, elle oppose l’agitation permanente des trilles aigus aux larges et sombres accords qui jouent sur la résonance du piano et celle, naturelle, du lieu. Couleurs kaléidoscopiques, rutilantes, dans une certaine tradition française, grandes montées dramatiques animent cette oeuvre fascinante qui semble par endroit se souvenir d’un certain Ravel (on pense à « Oiseaux tristes »). Intelligence et sensibilité caractérisent l’art de Bruno Mantovani.
Très à l’aise dans ce répertoire, Nicholas Angelich, ne l’est pas moins dans la martiale sonate n° 47 de Haydn qui précède « Suonare ». Il conclut son programme avec le véritable marathon musical que constituent les fameuses « Variations Diabelli » de Beethoven. Si la « petite valse » est abordée avec quelque excès de poids (lourdeur de la main gauche), la suite des variations retrouve l’essentiel de la gageure dialectique de l’œuvre : richesse et invention.

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