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L’invitation au voyage

Après la somptueuse ouverture assurée par Elisabeth Leonskaja, la 38ème édition du festival Piano aux Jacobins poursuit son parcours caractérisé par la coexistence entre le prestige des artistes consacrés et l’ouverture vers la jeune génération. Le 12 septembre, la jeune pianiste franco-brésilienne Juliana Steinbach présentait, dans le cloître mythique, un programme d’une unité parfaite consacré aux deux livres de Préludes de Claude Debussy. Un beau voyage musical qui n’a pas manqué d’enthousiasmer un public chaleureux et conquis.
Née au Brésil, Juliana Steinbach a poursuivi l’essentiel de ses études musicales en France, au Conservatoire de Lyon auprès de la pianiste américaine Christine Paraschos et ensuite au CNSM de Paris avec Bruno Rigutto et Pierre-Laurent Aimard. Elle y a remporté les Premiers Prix de piano et de musique de chambre, ainsi que le prix prestigieux de la Fondation Alfred Reinhold au terme de ses études avec le pianiste Jacques Rouvier. Elle a poursuivi sa formation également avec Franco Scala, Maria João Pires, Pnina Salzman et Joseph Kalichstein, et participé à diverses master-classes avec Dmitri Bashkirov, Emanuel Krasovsky, Alicia de Larrocha et Christoph Eschenbach.

Elle joue régulièrement aux côtés de brillants musiciens, et se produit en soliste avec de nombreux orchestres français et internationaux. Elle a remporté plusieurs prix lors de grands concours internationaux : Concours International de Jeunes Pianistes à Meknès, Concours International Artlivre à São Paulo, Premier Prix du prestigieux “Premio Vittorio Gui” à Florence (Italie), ou encore Prix Beethoven du Concours International de Musique de Chambre “Trio de Trieste” (Italie).

Si son récital du 12 septembre constitue sa première intervention dans le cadre du Festival Piano aux Jacobins, elle a déjà joué à Toulouse où elle a participé à un concert des lauréats de la Fondation Banque Populaire en duo avec la violoncelliste Sol Gabetta et s’est produite en trio à la Salle Bleue de l’Espace Croix Baragnon. En outre, elle a fondé le festival “Musique en Brionnais” dont elle est la directrice artistique.

La pianiste franco-brésilienne Juliana Steinbach

Passionnée par la musique de Debussy, elle a donc choisi de présenter l’intégrale des Préludes. Composés entre décembre 1909 et avril 1913, les deux livres de ces vingt-quatre Préludes marquent une sorte d’apothéose de la musique pour piano du compositeur. L’appellation choisie pour ces compositions courtes et libres représente certainement un hommage aux Préludes de Frédéric Chopin que Debussy admirait.

Juliana Steinbach aborde chaque pièce comme une œuvre à part entière. L’énergie et la poésie qu’elle insuffle à cette succession contrastée d’événements miniatures brosse néanmoins un tableau d’ensemble d’une étonnante cohérence. Son jeu volontaire et structuré témoigne de la forte personnalité de la jeune pianiste et de son imagination musicale. Sa conception s’éloigne des visions étroitement « impressionnistes » de certains interprètes. Point de pâmoison ni de flou brumeux. La musique coule avec une liberté du jeu, une spontanéité réjouissantes. Son toucher fait naître une palette de couleurs d’une prodigieuse variété.

Depuis la gravité des Danseuses de Delphes jusqu’à l’humour nerveux de Minstrels, les douze Préludes du Premier Livre déploient une série de paysages d’une richesse sans limites. Si l’animation tumultueuse de Ce qu’a vu le vent d’ouest ou l’émouvant mystère de La cathédrale engloutie passionnent le cœur et l’esprit, la magie de Des pas sur la neige constitue probablement le sommet de l’interprétation de ce Premier Livre. Le dernier accord de cette pièce donne le frisson !

Le Deuxième Livre prolonge le voyage de ses couleurs plus contrastées encore. La mélancolie de Feuilles mortes est suivie du rythme presque obsessionnel de habanera de La Puerto del Vino. De même, la splendeur statique de La terrasse des audiences au clair de lune (un titre tellement debussyste !) s’oppose joliment au rythme de cake-walk de Général Lavine – Excentric. Et pourtant Juliana Steinbach conserve l’unité et la continuité de cette succession d’atmosphères diverses.

Feu d’artifice, qui conclut ce Deuxième Livre, explose de lumière, de couleurs, de rutilance. L’interprète fouille le texte musical pour en extraire les plus extrêmes nuances. Les accents lointains de La Marseillaise prennent ici un aspect fantomatique.

Parvenue à la fin de son programme, Juliana Steinbach, dont la maternité ne saurait visiblement tarder, répond sans s’économiser à l’accueil chaleureux du public par une série de cinq rappels. Après L’Isle joyeuse, dans le prolongement debussyste des Préludes, elle offre deux pièces de son compatriote Heitor Villa-Lobos extraites de A prole do bebê (dont le vif O polichinelo), puis une fugue de Johann Sebastian Bach (une allusion subtile aux Bachianas Brasileiras de Villa-Lobos) et enfin la transcription par Sgambati du Ballet des ombres heureuses de l’opéra Orphée et Eurydice de Gluck, une pièce si souvent offerte en bis par Nelson Freire. La filiation n’est peut-être pas fortuite…

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