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Les splendeurs du piano tchèque

Le pianiste tchèque Jan Bartoš - Photo Jan Pohribný -

La première apparition en France du pianiste tchèque Jan Bartoš est tout à l’honneur du festival Piano aux Jacobins. Ce mardi 26 septembre, le programme musical exigeant et original de son récital toulousain n’a en rien rebuté un public à la fois curieux et enthousiaste.

La presse internationale ne tarit pas d’éloges à l’égard de Jan Bartoš. Ses enregistrements de la musique de Janáček, Mozart, Beethoven, notamment sont régulièrement salués et ses apparitions internationales, aussi bien en récital qu’avec orchestre, connaissent un réel succès. Le grand Alfred Brendel dit de lui : « Jan Bartoš est l’un de mes jeunes collègues les plus impressionnants et les plus passionnants. En lui, la virtuosité s’accompagne de la plus profonde des musicalités ». Son tout dernier album, sorti au printemps 2023, propose des pièces inconnues de musique tchèque pour piano de Miloslav Kabeláč et Bedřich Smetana. Il a été couronné d’un « 5 stars » dans le BBC Music Magazine.

Invité au cloître des Jacobins, le pianiste tchèque a rendu un hommage vibrant et intense à la musique de son pays dont il a su choisir des témoignages musicaux particulièrement fort et originaux. Si le cœur de son programme se consacre à l’œuvre emblématique de Leoš Janáček, il ouvre la soirée avec une partition d’un compositeur encore inconnu du grand public (y compris de celui de l’auteur de ces lignes !), Miloslav Kabeláč. Né en 1908 à Prague et mort en 1979, également à Prague, Kabeláč a participé activement au renouveau de la musique tchèque contemporaine, tout en enseignant au conservatoire de sa ville.

Ses Huit Préludes pour piano op. 30, joués avec passion par Jan Bartoš, ne peuvent renier l’héritage du grand aîné, Leoš Janáček. Cette musique colorée, riche de rythmes élaborés, trouve ici un interprète de choix. Tout au long de l’œuvre, la recherche de sonorités profondes, la mise en œuvre d’intenses contrastes dynamiques, le sens raffiné des nuances font merveille. On ne peut rêver meilleure introduction au monde musical de Leoš Janáček.

Jan Bartoš dans le cloître des Jacobins – Photo Classictoulouse –

Deux des partitions les plus emblématiques de l’auteur de Jenůfa, de La Petite Renarde rusée et bien d’autres chefs-d’œuvre habitent ce cœur de soirée. La « Sonate 1 X 1905 » (1er octobre 1905) fut inspirée au compositeur par la mort de l’ouvrier Frantisek Pavlik tué dans une manifestation à Brno à la date qui a donné le titre de l’œuvre. La première partie de l’œuvre Con moto « Le Pressentiment » distille une angoisse que l’interprète enchaîne subtilement avec la sinistre atmosphère du second mouvement Adagio « La Mort ». L’émotion au plus haut degré.

L’atmosphère est tout autre dans le cycle de quatre pièces composé en 1912 intitulé « Dans les brumes » du même Janáček. Sous les doigts de Jan Bartoš, l’Andante initial n’est pas éloigné d’une sorte d’impressionnisme à la Debussy, alors que le Molto adagio génère un climat dramatique. Au lyrisme élégiaque de l’Andantino succède l’originalité « archaïsante » du final Presto. La poésie possède ici une saveur particulièrement « Mitteleuropa ».

La dernier volet de cette exploration du patrimoine tchèque remonte au XIXème siècle avec le rare répertoire pianistique d’un compositeur pourtant très populaire dans d’autres domaines (symphonique, lyrique…), Bedřich Smetana. Ses Six pièces caractéristiques pour piano, qui datent de 1875, sont intitulées « Rêves ».

Il s’agit là d’alternances de finesse et de virtuosité échevelée ! Jan Bartoš s’approprie ces six portraits dans leur incroyable diversité. De la joie à la nostalgie, de l’évocation pastorale à l’enthousiasme festif, la palette colorée de l’interprète fait merveille. La pièce finale « Fêtes paysannes de Bohème » pleine d’exaltation virtuose déclenche un véritable triomphe de la part du public. Acclamé longuement, le pianiste offre un bis qui prolonge la spécificité du programme. Le retour vers Leoš Janáček emprunte sa voie au fameux extrait des quinze pièces pour piano « Sur un sentier recouvert » (ou herbeux, ou broussailleux, suivant les traductions). Une belle conclusion pour cette première rencontre.

Serge Chauzy

Programme du concert donné le 26 septembre 2023 à 20 h au cloître des Jacobins

* Miloslav Kabelač

– Huit Préludes pour piano, Op. 30

* Leoš Janáček

– Sonate 1 X 1905

– Dans les brumes (1912)

* Bedřich Smetana

– Rêves. Six Pièces Caractéristiques pour piano

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