Tous les ans, au mois d’août, la belle mais austère ville d’Edimbourg « goes crazy » ! Elle devient folle alors que ses rues deviennent le théâtre d’une stupéfiante effervescence. Le tsunami du festival « Off », appelé ici « The Fringe », envahit le pavé : du cracheur de feu au mime statufié, du jongleur au groupe de chanteurs de gospels…
Plus discret, mais ô combien prestigieux, le festival « In » remplit tout ce que la ville compte de salles de concert, d’opéra, de spectacle de théâtre ou de danse. Le festival 2007 ne déroge pas à sa tradition de qualité et d’imagination.
Tout le début de cette faste période est, cette année, dominé par la présence de Jordi Savall et ses ensembles de musique ancienne : « Le Concert des Nations », « La Capella Reial de Catalunya », « Hesperion XXI », auxquels s’associent les cuivres anciens de la ville rose réunis autour des « Sacqueboutiers de Toulouse ».
Le troisième acte de “L’Orfeo” de Monteverdi (Photo: Antoni Bofill)
Les musiciens toulousains participaient à deux événements marquants de la série. Et tout d’abord aux représentations de « L’Orfeo » de Monteverdi. Offertes dans la production du Liceo de Barcelone, ces représentations rassemblent une distribution vocale par moment inégale, mais magistralement dominée par « The » Orfeo du moment, le baryton italien Furio Zanasi. Un timbre chaleureux, une souplesse vocale extrême, une absolue musicalité, un style irréprochable, un sens du drame, une diction parfaite. Voici enfin ce que doit être le « parlar cantando » si cher à Monteverdi. Jordi Savall, vêtu comme Monteverdi lui-même, dirige avec sensibilité ce 1er opéra de l’histoire, animé par le bel ensemble instrumental du « Concert des Nations », cordes et vents admirablement mêlés. Notons que les subtiles interventions des cornetti et sacqueboutes toulousains recueillent les ovations d’un public conquis.
La mise en scène de Gibert Deflo reste fidèle à la légende. Pas d’Orfeo à moto, ni d’enfer relooké en asile d’aliéné. Un très beau trompe-l’œil tient lieu de décors parfaitement en situation. La vision des enfers s’avère particulièrement poétique. Jusqu’à la machinerie finale, char de nuage qui emporte dans les cieux Apollon et Orfeo, père et fils réunis.
Les musiciens réunis autour des “Sacqueboutiers” lors des répétitions des
“Vêpres de la Vierge” de Monteverdi
Le 16 août, sa vision des somptueuses « Vêpres de la Vierge », du même Monteverdi, conduit Jordi Savall à limiter le déploiement sonore de ce chef-d’œuvre. Vision intravertie, recueillie, qui confie aux seuls solistes vocaux l’essentiel des épisodes chantés. De grands moments émergent de cette exécution. L’enivrant « Duo Seraphim », aux voix de ténors parfaitement enlacées, ou encore l’« Audi Coelum » dans lequel Furio Zanasi renouvelle sa réussite d’Orfeo. Dans la fameuse « Sonata sopra ‘Sancta Maria, ora pro nobis’ », les cuivres toulousains tissent une dentelle sonore d’un grand raffinement.
Ce soir-là, Jordi Savall réserve à son auditoire enthousiaste un bis étonnant. Il s’agit d’une œuvre composée spécialement pour lui et son ensemble par l’Estonien Arvo Pärt : “De Pace Domine”. Cette œuvre mystique, écrite en hommage aux victimes des récents attentats de Madrid, prolonge, étrangement sans hiatus, la musique des Vêpres.
Le 17, Jordi Savall, décidemment infatigable, cette fois à la tête de son ensemble « Hesperion XXI », brosse un tableau irrésistible de l’Espagne de Cervantès. Orfèvre en la matière, il donne la réplique la plus idiomatique qui soit au chant expressif de Montserrat Figueras et d’Arianna Savall, épanouies dans leur arbre généalogique. Des musiques nostalgiques comme « Di perra mora » de Pedro Guerrero ou pétulantes comme la « Chacona a la vida bona » de Juan Arañés aux romances sépharades (depuis la profonde tristesse de « Paxarico tu te llamas » de Sarajevo, jusqu’à l’ironie légère de « La guirnalda de rosas » venue de Rhodes), tout un pan de musique vivante et forte est ainsi ressuscité.
Jordi Savall et Montserrat Figueras