Il fallait choisir, ce soir-là 21 septembre, entre un attrayant récital d’Alberto Neuman dédié au tango et ce tableau-concert du musée des Abattoirs confié au jeune et brillant Bertrand Chamayou, pianiste toulousain devenu presque prophète en son pays et qui remplaçait ce soir-là Toros Can, empêché par la maladie. L’attrait d’un répertoire rare et d’un talent en pleine effervescence l’a emporté pour l’auteur de ces lignes.
Le pianiste toulousain Bertrand Chamayou (Photo Laure Vaconi – Naïve)
En effet Bertrand Chamayou a concocté pour cette soirée un programme d’une grande intelligence. C’est d’ailleurs avec pédagogie et passion qu’il justifie ses choix. Les quatre musiciens (César Franck, Franz Liszt, Oliver Messiaen et Jonathan Harvey) qui composent ce programme possèdent tous en commun une certaine religiosité. Tout au moins un mysticisme spécifique qui nourrit leurs œuvres. Cette religiosité se retrouve paradoxalement dans le tableau qui accompagne la soirée et qui pourtant avait été choisi pour illustrer le récital de Toros Can initialement prévu : l’éclatement rouge et blanc de « La montagna bianca » de Mimmo Paladino.
De César Franck, Bertrand Chamayou délivre tout d’abord un « Prélude, choral et fugue » d’une belle autorité, d’une élaboration architecturale impressionnante. Son toucher, d’une lumineuse précision, à la fois léger et dense, éclaire la richesse polyphonique tout en exaltant son lyrisme. Tout autrement résonne la courte pièce « Au bord d’une source » de Liszt. Fluidité, fraîcheur, il n’y manque rien d’un panthéisme fin de siècle.
« La Montagna bianca » de Mimmo Paladino (Musée des Abattoirs)
Avec Olivier Messiaen, le jeune pianiste se trouve encore en pays de connaissance. Souvenons-nous de sa participation capitale à la journée toulousaine consacrée à Messiaen, le 8 mars 2008. Il témoigne ici une fois de plus de sa compréhension profonde du langage de l’ornithologue mystique. Avec « La première communion de la Vierge », extrait des « Vingt regards sur l’enfant Jésus », le sentiment religieux domine. Il n’est pas absent non plus des deux « Petites esquisses d’oiseaux », « Le rouge-gorge » et « Le merle noir », dans lesquelles excelle le jeu rutilant de l’interprète.
« Le tombeau de Messiaen », composé en 1994 par Jonathan Harvey en hommage à son aîné, complète magnifiquement ce parcours. Cette pièce virtuose associe le piano réel à l’enregistrement retravaillé d’une sorte d’instrument virtuel. Ce jeu de miroir, étrange dialogue entre son direct et image d’un double, progresse vers un implacable crescendo volcanique. Comme une coulée de lave sonore.
Pour prolonger encore ce voyage fascinant dans la musique de notre temps, Bertrand Chamayou offre comme premier bis le 5ème Klavierstück de Karlheinz Stockhausen, récemment disparu. Une pièce radicale et coruscante qu’il détaille avec gourmandise et talent. Une très reposante aria de César Franck conclut la soirée sur un atterrissage en douceur. Toutes les musiques vivent et vibrent sous les doigts de l’interprète.