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L’ardent piano de Philippe Bianconi

Grand musicien, interprète passionné, Philippe Bianconi a tenu en haleine le public du cloître des Jacobins lors de son récital du 9 septembre. Le programme, intelligemment conçu, incitait au voisinage de trois tempéraments musicaux bien différents mais, au fond, assez complémentaires. Entre l’émouvante ferveur de Chopin et la subtilité lumineuse de Ravel, la création de la pièce commandée par le Festival à Bruno Mantovani ouvre de passionnantes perspectives extra-pianistiques.

Philippe Bianconi lors de son récital toulousain – Photo Classictoulouse –

Toute la première partie de cette chaude soirée est consacrée à l’intégrale des Ballades de Frédéric Chopin. Ces quatre monuments pianistiques, composés sur une longue période d’une douzaine d’années résument à eux seuls tout l’art de Chopin. Eprouvantes sur le seul plan technique, ces pièces associent le caractère libre des fantaisies à la Schumann à l’intensité expressive des nocturnes. Philippe Bianconi y déploie une sonorité de bronze, une ardeur sans limite et néanmoins si magnifiquement maîtrisée, un sens du drame intérieur. Souffrance et révolte parcourent l’ensemble de ces quatre « épisodes de la vie d’un artiste », pour paraphraser Berlioz, fervent admirateur de Chopin.

Dans les convulsions de la Première Ballade en sol mineur, l’interprète manifeste un sens aigu du rubato qu’il pratique avec finesse. Les oppositions entre explosions de douleur et confidences murmurées se révèlent particulièrement convaincantes, dans cette liberté de ton qui caractérise une forme musicale profondément romantique. Si la tempête et le drame occupent l’essentiel de ces partitions, la Deuxième Ballade en fa mineur s’ouvre sur une intime confidence à la Schubert. La révolte ne tarde pourtant pas à se manifester, exaltant ainsi les contrastes expressifs. L’héroïsme de la Troisième ne masque pas les quelques élans joyeux qui la différencient de ses voisines. Enfin l’introspection et les oppositions d’atmosphère trouvent leur traduction dans le raffinement polyphonique, l’écriture incroyablement élaborée de la Quatrième Ballade à laquelle l’interprète confère toute sa richesse.

Le compositeur Bruno Mantovani présentant son œuvre, “Papillons”

– Photo Classictoulouse –

La seconde partie du concert s’ouvre donc sur la création de « Papillons », pièce commandée à Bruno Mantovani par la direction du Festival. On connaît le talent avec lequel le jeune compositeur sait parler de sa propre musique, mais aussi de celle des autres. L’exécution de sa pièce est donc précédée de sa présentation. C’est une chance de pouvoir entendre un compositeur évoquer ses propres œuvres. Bruno Mantovani parle ainsi avec simplicité et sincérité de la genèse de cette pièce au titre éminemment schumannien : une pièce qui porte en effet le même titre que l’opus 2 du grand compositeur allemand. S’il admire profondément toute l’œuvre de Schumann, Mantovani avoue ne pas vraiment aimer cet opus 2 ! Etrange et intéressant aveu qui conduit à penser que sa propre pièce « déconstruit » en quelque sorte son éponyme schumannien. Et en effet le piano qui joue ces « Papillons » s’oublie très vite. On écoute l’œuvre devant laquelle l’instrument s’efface. De puissants accords graves évoquant l’orgue ouvrent cette partition tournoyante, faite de tourbillons qui envahissent le clavier sur toute sa largeur. Une puissante houle vient animer l’œuvre de sa profonde respiration. Etonnante pièce qui sollicite l’interprète au-delà de ce que l’on croit possible. Philippe Bianconi a certainement une part prédominante de responsabilité dans le succès mérité de « Papillons ». Bruno Mantovani ne manque d’ailleurs pas de le remercier chaleureusement.

Après ce déferlement tempétueux, le retour à Ravel ressemble au lever de soleil sur un paysage à la Watteau. Il est vrai que Le tombeau de Couperin se veut hommage à la musique baroque, et notamment à François Couperin « Le Grand ». Les formes de danse comme la Forlane, le Rigaudon, le Menuet… y sont prétextes à intégrer un langage du XXème siècle dans une structure ancienne. Ravel excelle dans cet exercice subtil. Tout en évitant le piège de la mièvrerie, Philippe Bianconi, si l’on peut dire, joue le jeu de ce double langage. L’élégance « grand siècle » s’accompagne d’un admirable déploiement de couleurs. En particulier le jeu transparent du pianiste illumine le Menuet et la Toccata qui concluent brillamment cette suite.

Trois bis consistants viennent remercier l’ovation que le public réserve à l’interprète. Deux pièces de Chopin, la Valse en la bémol majeur op. 34 et le Prélude op. 45 encadrent une jubilatoire Isle joyeuse de Debussy.

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