La légende du piano doit beaucoup à Aldo Ciccolini. Ce jeune octogénaire a une fois de plus enchanté le public toulousain lors de sa venue à la Halle aux Grains le 23 septembre dernier, à l’invitation du 35ème festival Piano aux Jacobins. Il a surpris, au meilleur sens du terme, l’ensemble des spectateurs par la force de son message musical et la jeunesse de son jeu.
La démarche hésitante, appuyé sur une canne, le plus français des pianistes issus d’Italie se fraie lentement un chemin vers cet instrument magique auquel il a voué sa vie. Dès qu’il pose ses mains sur le clavier, Aldo Ciccolini s’affranchit des contingences matérielles et physiques. Il n’a pas même besoin de l’aide d’une partition. Un monde idéal s’ouvre alors au spectateur/auditeur. Le toucher subtil, fluide et nuancé du pianiste retrouve toutes les qualités fondamentales qui font sa réputation. A peine peut-on observer une légère atténuation de l’extrême puissance de frappe qui a souvent caractérisé le relief de ses interprétations. L’émotion reste la même. Et c’est bien l’essentiel.
L’arrivée d’Aldo Ciccolini sur le plateau de la Halle aux Grains – Photo DR –
Les quatre Ballades de l’opus 10, de Johannes Brahms représentent une sorte d’apothéose du romantisme. Le jeune compositeur y livre déjà, avec une stupéfiante maturité, la substance méditative et profonde de ce que seront ses dernières pièces. Aldo Ciccolini aborde ce cycle avec la sérénité de son accomplissement. On sait que ces pièces, toutes de concentration et d’économie de moyens, installent une atmosphère faite de tension intime, de profondeur affective. Seule la première, en ré mineur, illustre explicitement une tragique légende écossaise. Les trois autres prolongent l’atmosphère de la première. Le toucher, à la fois léger et dense, plein d’une fraîcheur spontanée, de l’interprète parcourt ces quatre pièces dans des clairs-obscurs qui évoquent aussi bien la noirceur douloureuse du monde que la douceur du rêve.
Avec la Sonate en mi mineur d’Edvard Grieg, le pianiste explore la seule incursion du compositeur dans la grande forme. Il parvient à en gommer les quelques faiblesses grâce à un jeu mouvant, léger et d’une étonnante fraîcheur. La beauté mélodique de l’Andante constitue probablement le sommet de son interprétation, même si l’Alla Menuetto ne manque ni d’allant, ni de charme.
Aldo Ciccolini pendant son récital – Photo Classictoulouse –
Toute la seconde partie du récital est consacrée à l’ultime sonate en si bémol majeur D 960, de Franz Schubert. Ce chef-d’œuvre absolu avait également motivé l’autre vétéran de ce 35ème festival, Menahem Pressler, lors du concert d’ouverture. Dès la marche initiale, si proche du tragique cycle de lieder Le Voyage d’hiver, tout Schubert se livre à nous. On retrouve ici la ferveur tout en nuance du jeu de l’interprète qui parvient à mêler la profondeur insondable du désespoir et la grâce naturelle d’un toucher toujours limpide. L’Andante sostenuto atteint des abîmes de noirceur toujours sans pathos, ni exaltation excessive. Après un Scherzo plein d’une légèreté passagère, l’Allegro ma non troppo final, tel un combat perdu d’avance, conduit à d’insondables mystères. Toute la sagesse d’une vie semble se résumer dans ce final.
Acclamé debout, Aldo Ciccolini revient encore à deux reprises à son clavier pour remercier le public. Après le fameux Salut d’amour, composé par Sir Edward Elgar pour violon et piano, ici dans sa version pour piano seul, Aldo Ciccolini revient à Debussy, qu’il a beaucoup servi tout au long de sa brillante carrière, avec Minstrels, extrait du Livre I des Préludes.