Intégralement consacré à Rachmaninoff (avec deux f !), le récital du pianiste américain Sean Botkin révélait, le 16 septembre dernier, dans le cadre du festival Piano aux Jacobins, un authentique talent de musicien dans un répertoire qui exige une technique puissante et un profond lyrisme. En outre, le programme de cette soirée explorait une face trop souvent ignorée du compositeur russe, celle des Préludes et de la première sonate.

Sean Botkin, qui enseigne actuellement à la prestigieuse Julliard School (dont il est diplômé), ainsi qu’à l’Université de l’Iowa du Nord, a commencé sa carrière de concertiste dès l’âge de neuf ans dans sa Honolulu natale. Il a remporté une exceptionnelle quantité de prix internationaux et parcourt le monde donnant concerts et récitals dans les festivals les plus recherchés. Il est pour la première fois l’invité de Piano aux Jacobins.

Le pianiste américain Sean Botkin pendant son récital Rachmaninoff dans le cloître des Jacobins (Photo Classictoulouse)

La première partie de son récital toulousain est consacrée à un florilège des ces trop rares Préludes, ceux de l’op. 23, composés en 1903 et ceux de l’op. 32 datés de 1910. Rachmaninoff y déploie son art reconnaissable entre tous et que Vladimir Jankélévitch caractérise ainsi : « La seule condition requise pour recevoir le message de Rachmaninoff est la sincérité; la sincérité et l’absence de tout pédantisme ; la sincérité et le consentement à l’ivresse qui nous emporte. » La succession des pièces très intelligemment sélectionnées par l’interprète, brosse le portrait d’un homme complexe et déchiré par des humeurs opposées. Ainsi l’énergie vitale inextinguible qui habite le Maestoso en si bémol majeur contraste de manière saisissante avec la tristesse dépressive que déploie le Largo qui le précède immédiatement dans l’op. 23. Sean Botkin investit ce monde attachant, décalé par rapport à son époque, avec peut-être en tête la définition que le compositeur se plaisait à donner : « La musique vient droit du cœur et ne parle qu’au cœur ; elle est Amour ! La sœur de la Musique est la Poésie, et sa mère est le chagrin ! »

Son impressionnante technique, la dynamique sans limite dont il est capable, la mobilité de ses capacités expressives, servent admirablement cet épanouissement musical qui fait du piano l’instrument du cœur.

La première sonate en ré mineur qui occupe toute la seconde partie, est l’une des œuvres les plus vastes confiées au piano. C’est probablement la raison pour laquelle les pianistes sont si peu nombreux à s’y confronter. Composée en 1907, elle s’inspire des trois personnages centraux du Faust de Goethe : Faust, Marguerite et Méphisto. L’interprète exalte le dynamisme puissant de l’Allegro moderato, le recueillement méditatif de l’Andante et les pulsions « démoniaques » du final. Un moment rare qu’il convient de saluer.

Deux bis étonnants, réclamés par un public conquis, complètent ce programme : le brillant « Tic-toc-choc » (ou « Les Maillotins ») de François Couperin et une ébouriffante pièce de virtuosité de Louis Moreau Gottschalk, intitulée « Tournament gallop ».

Le tout jeune Alexandre dans les bras de son grand-père Serge Rachmaninoff

Signalons que ce concert bénéficiait du partenariat de la Fondation Serge Rachmaninoff, représentée au concert par son président Alexandre Rachmaninoff, le petit-fils du compositeur, ardent défenseur de l’œuvre de son grand-père. Une rencontre de ce dernier avec le public avait d’ailleurs été organisée, l’après-midi du concert, à la librairie Ombres Blanches de Toulouse. C’est de la bouche même d’Alexandre Rachmaninoff que nous avons ainsi pu apprendre que la volonté de son grand-père était d’orthographier son nom avec deux f et non avec un v comme cela était devenu d’usage en France et ailleurs. Voici donc une habitude dont il faudra se débarrasser…

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